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Un mouvement en marche. Des biocoopérateurs en quête de sens. Formés et encadrés par une centrale qui vise 100 % de réussite. Des acheteurs de plus en plus motivés par une alimentation revenue au naturel. Les quelque 730 Biocoop de France poussent comme le blé. Leur engrais : la volonté d’en finir avec la malbouffe.
Fin des années 1970, on pense encore à l’espoir de nature et de naturel né sous les pavés de Mai-68. L’agriculture biologique, on connaît. Des producteurs s’y sont mis. Ils alimentent au sens premier toute une population consciente des ravages de l’agriculture intensive et des denrées industrialisées, calibrées, importées de loin au prix de la souffrance animale et humaine. Mais chacun improvise. D’où des cahiers des charges disparates. On veut coopérer ? Créons des coopératives ! C’est fait dès 1983 dans l’Ouest, avec Intercoop, un an plus tard avec Piopaïs dans le Sud-Est. Dès 1986, une première rencontre nationale les réunit d’où naît Biocoop. Le premier distributeur bio français.
Quatre collèges pour une logique unitaire
Gilles Baucher, directeur du réseau, voulait créer l’un des magasins Biocoop. Il le reconnaît : « Je n’étais pas prêt. » En revanche, cet HEC transfuge de la grande distri et de la restauration se sentait prêt… à aider les autres à se lancer. À partir de 2015, charge à lui de le faire pousser, ce réseau de militant·es. Car devenir sociétaire de Biocoop, ce n’est pas ouvrir un commerce de bouche/bouffe. C’est s’engager.
Le label AB – Agriculture biologique, propriété du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation – s’est largement inspiré en 1990 du cahier des charges de Biocoop. Et pour cause, il n’existe pas d’un côté des producteurs « bios » et de l’autre des magasins. C’est un tout. « Biocoop repose sur quatre collèges, celui, en amont, du monde paysan, vingt groupements de 3 600 fermes sociétaires de Biocoop, celui des magasins gérés par des salariés sociétaires militants et le quatrième collège, celui des consommateurs conscients de participer à un projet de société. » Un projet qui ne se résume pas à un label. On ne joue pas avec le cahier des charges de Biocoop : c’est du 100 % bio, les denrées ignorent le transport aérien – « contrairement à une certaine concurrence », glisse Gilles Baucher – et du sud au nord des terroirs, les échanges sont équitables.
Une logique me traverse l’esprit à l’écoute de Gilles Baucher : au fond, le dessein ultime des coopérateurs en question, c’est de se fondre dans un avenir agricole 100 % bio… Comment se fera la différence ? Erreur. « Il existe le bio, démontre le directeur du réseau, et la bio. Le bio, tout le monde peut en produire, fût-ce en vendant ses productions au bout du monde, dans un contexte social déplorable. La bio telle que nous la vivons passe par les composantes évoquées. »
Une stratégie mise aux votes
Le directeur du réseau, lui, reçoit (candidatures spontanées) et cherche (salons, communication) les candidat·es gérant·es pour sans cesse mailler de magasins un territoire déjà très homogène en France. « Il n’existe pas de profils types, plutôt des motivations types. » En amont, côté fermes, un autre animateur gère des groupements de producteurs.
Gilles Baucher le constate, « les nouveaux gérant·es sont plus jeunes qu’il y a six ans. Et se regroupent volontiers ». Ils et elles investissent bien sûr dans leur affaire, mais, à la différence d’une franchise, ils et elles sont des sociétaires de la coopérative, cette forme de commerce associé où un sociétaire = une voix. Quand l’AG détermine des orientations pour les années à venir, ce n’est pas le président et le directeur général en fonction pour trois ans qui tranchent – en l’occurrence Pierric de Ronne, président, lui-même à la tête d’une Scop Biocoop, et Sylvain Ferry directeur général –, mais bien le vote des sociétaires qui choisit les options mises sur la table. C’est comme ça que Biocoop a choisi de bannir les bouteilles de plastique de ses étals. Même les dubitatifs ont dû s’y plier.
Investir dans l’enseigne revêt un gros avantage : la coopérative mène, conjointement avec le·la candidat·e, une étude de marché géomarketing sur l’implantation. Puis le ou la futur·e gérant·e suit une formation rigoureuse. « Vingt et un jours de formation théorique, puis 3 à 6 moins de formation en magasin », confirme le directeur du réseau. Bilan : « Un taux de réussite très élevé… – quoi ? 100 % ? – À un epsilon près, oui. À comparer aux quelque 30 % d’échec dans la franchise. »
La lente montée du bio
Les Français·es investissent de plus en plus dans le bio, mais à leur rythme, en dépit de prix forcément plus élevés en bout de chaîne. Il ne s’agit pas d’un raz-de-marée, loin de là. Gilles Baucher le rappelle, les produits bios ne comptent jamais que pour 5 ou 6 % du marché. En revanche, 70 % des consommateurs mangent du bio au moins une fois par mois. Potentiel ? Énorme : « Nous visons à terme 20 ou 30 % de part du bio dans les assiettes. N’oublions pas que c’est le cas déjà pour les œufs et le lait ! » Quant aux prix, ce sont ceux de la grande distribution qui révèlent des anomalies : les étiquettes d’appel cachent des ventes à perte. « Or, compense Gilles Baucher, un kilo de pâte chez Biocoop n’est pas plus cher puisque vendu en vrac. » Avec une entrée dans le top 10 des enseignes commerciales tous les secteurs confondus et première en image de marque « bio », la coopérative baptisée en 1986 coche toutes les cases du 100 % de cohérence. Un atout de pérennité.
Olivier Magnan