Temps de lecture estimé : 7 minutes

Quand vient la fin de l’été, pour la glace… Il faut alors s’adapter.

Pour rester ouverts toute l’année, même les meilleurs glaciers doivent faire preuve de créativité. Sur un marché aussi dépendant de la météo, quels sont les leviers qui leur permettent de se dégager du chiffre d’affaires de janvier à décembre ?

Désaisonnaliser. En 2001, Nestlé Grand Froid et son usine beauvaisienne en voyaient déjà l’utilité. À l’époque, Claire Boca, la cheffe du département Crème glacée détaillait : « Nous essayons […] de désaisonnaliser le marché. D’avoir une partie des volumes plus importante
en deuxième saison, c’est-à-dire de septembre à avril. » Mais sur le marché de la glace, les habitudes de consommation ont la peau dure. Et plus de vingt ans plus tard, la question reste entière : comment faire ?

Pourtant, le marché en France de la glace se porte bien. Il a bondi en même temps que les températures. En 2018 par exemple, avec 237,8 millions de litres de glaces fabriqués en France, le secteur réalisait 1,18 milliard d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de 8,4 %. Mais certains glaciers pâtissent encore d’une saisonnalité trop forte.

L’innovation au coeur de tous les enjeux

Alors, pour se défaire de cette dépendance estivale, certains réseaux font le choix le plus instinctif. Celui de développer des parfums hivernaux. « Le goût pistache est moins connoté été par exemple », illustre Timothée Arar-Jeantet, de l’Association des entreprises des glaces. À ce titre, certains glaciers se sont même spécialisés dans ces parfums de saisons. C’est le cas de Glazed, qui propose des glaces avec « les meilleurs produits sans aucune autre concession que leur pleine saison ».

Leur offre s’inscrit alors dans une demande globale des consommateurs de plus en plus sensibles à la saisonnalité. Selon les chiffres de Too Good To Go (avec YouGov), 36 % des Français sont d’ailleurs très impliqués dans cette démarche et ne consomment que des fruits cohérents avec la période. Il y a donc un véritable positionnement à prendre.

Ainsi, quand vient le mois de novembre et le début de l’hiver, leur carte se métamorphose. Potimarrons, clémentines, poires et figues viennent supplanter les traditionnels parfums à la fraise et vanille. Et les concepteurs soutiennent aussi cette proposition avec de nombreuses bûches et desserts glacés. Bref, l’offre s’adapte pour offrir aux
clients les parfums les plus « à propos », et toujours dans les hauts standards de qualité.

D’ailleurs, ces hauts standards de qualité sont aussi une clé pour réussir sa désaisonnalisation selon Timothée Arar-Jeantet, de l’Association des entreprises des glaces. Pour lui « le marché se premiumise » et la glace reste un « produit plaisir » que les Français achètent de plus en plus dans cette optique tout au long de l’année. « Ce dont on se rend compte depuis plus de 10 ans, c’est la croissance moyenne d’environ 3 % du marché de la glace », précise-t-il.

Une question d’emplacement

À l’instar de Glazed, beaucoup d’autres concepts séduisants ont fait irruption en France ces dernières années. Preuve, s’il en faut, que le marché reste en pleine expansion. ice- Roll en est d’ailleurs le parfait exemple, qui se définit comme « la nouvelle expérience de crème glacée ». Sur une plaque à -30 degrés, les glaciers iceRoll font leur préparation directement devant le client. Une « théâtralité » que Quentin Bourdonnay, le fondateur, a directement importée de Thaïlande en améliorant, au passage, le concept : « Il me fallait quelque chose de très bon en plus du spectacle », raconte-t-il.

« LA R&D ET L’INNOVATION SONT AU COEUR DE LA RECETTE DU SUCCÈS », TIMOTHÉE ARARJEANTET, ASSOCIATION DES ENTREPRISES DES GLACES

L’entrepreneur tente alors plusieurs stratégies pour s’étendre. Des implantations dans neuf pays, des boutiques ouvertes en propre, des franchisés… Et surtout, une présence accentuée dans les centres commerciaux. « À notre grande surprise, les points de vente ouverts en centre commercial ont fait leurs meilleurs mois en décembre, janvier et juin. En fait, on s’est aperçu qu’après deux heures passées à sillonner les boutiques, la température extérieure n’a presque plus d’influence sur les clients », se rappelle ainsi Quentin Bourdonnay. Eurêka ! Certaines boutiques iceRoll n’étaient plus dépendantes de la météo.

Et ce constat est ultra-positif pour notre entrepreneur. Lui qui estime justement que concentrer les temps de consommation de la glace sur les seuls mois d’été n’est pas une stratégie pérenne : « Il y a trop de pression sur les mois chauds. Et si l’on tombe sur une année où la météo n’est pas clémente, cela peut mettre à risque le business », analyse-t-il. Avant d’ajouter : « La désaisonnalisation est donc essentielle, au moins pour limiter les pertes dans les mois creux ».

Aujourd’hui, iceRoll se diversifie via des nouvelles activités dans l’événementiel notamment. Et pour continuer à dégager du chiffre d’affaires même en hiver, les équipes commerciales de l’entreprise ont eu à faire un tout petit ajustement sémantique. En lieu et place de la vente de « crèmes glacées », ils proposent des « bûches glacées ». Le concept est sensiblement le même, pourtant « il passe mieux auprès des prospects » appuie Quentin Bourdonnay.

Un peu de crème que l’on verse sur une plaque gelée. On y ajoute les fruits ou les biscuits que l’on veut. Le tout donne une glace faite à la minute, devant soi.

Des stratégies de fidélisation et de communication

Tout serait alors affaire de communication ? En tout cas, les grands noms du secteur en ont fait leur va-tout pour se désaisonnaliser. Et aux grands budgets, les grands moyens. Häagen-Dasz se lance par exemple dans une stratégie de fidélisation. Un autre point clé pour dégager du bénéfice toute l’année selon Timothée Arar-Jeantet. Car oui, avec « La Tribü », le glacier à la soixantaine d’implantations en France, veut mettre à l’honneur son savoir-faire toute l’année. Très simplement, à chaque achat de crèmes glacées de la marque, les bénéficiaires du programme de fidélité gagnent des « coeurs ». Ces mêmes coeurs – qui sont en fait des points – servent ensuite à obtenir l’accès à une centaine de cadeaux et d’avantages exclusifs.

Évidemment, autour de cet enjeu de fidélisation, celui de la communication est d’autant plus important. Et ça, Häagen-Dasz l’a bien compris, au même titre que ses principaux concurrents, Ben & Jerry’s ou Amorino par exemple. Ce triptyque de leaders multiplie les opérations de communication tout au long de l’année pour rester ancré dans l’esprit général. À travers des ateliers expérientiels, des plans médias et des partenariats avec des pâtissiers, ces marques-là peuvent susciter le désir de glace à n’importe quelle période de l’année. « L’idée d’Häagen Dazs de s’associer avec Pierre Hermé pour créer des pots avec des inclusions de macarons en est le parfait exemple. Ils ont valorisé un nouveau lancement et ils créent ainsi une occasion de visite », ajoute notre expert, Timothée Arar-Jeantet.

À gauche, les boutiques de la Maison Franchi l’été. À droite, elles se métamorphosent quand pointe l’hiver.

Certains choisissent la diversification

Côté diversification, certains réseaux font même le grand écart. C’est le cas de Maison Franchi, un glacier alsacien vieux de 90 ans et qui vient de se lancer en franchise. Son dirigeant, Laurent Franchi – le petit- fils du fondateur – s’est aperçu qu’il pouvait intégralement changer son concept à l’orée de l’hiver. « On a décidé de s’adapter à ce que les gens attendent. Au moment du marché de Noël de Strasbourg, on fait de nos magasins des boutiques éphémères où l’on vend du pain d’épice et du nougat », raconte l’entrepreneur. Et d’ajouter pour résumer : « C’est ce qu’on appelle l’effet caméléon. Si vous êtes de passage à Noël, vous ne soupçonnez même pas que le reste de l’année, on est une boutique de glaces ».

Avec ce stratagème, Laurent Franchi actionne un levier qui lui permet de réaliser un « très grand chiffre d’affaires », même pendant les fêtes de fin d’année. Il confie avoir engrangé parfois plus de 6 000 euros en un week-end en se mettant à vendre des produits de saison. Mais quid du défi logistique pour un tel changement ? « On a la problématique des invendus évidemment. C’est notre boulot en tant que franchiseur de reprendre les invendus pour que nos partenaires fassent leurs marges ». Les franchisés sont donc tranquilles à ce niveau-là !

Mais sans aller jusqu’à l’extrême comme l’a fait Maison Franchi, beaucoup de franchiseurs glaciers complètent leur offre principale par un snacking et des boissons chaudes. « On voit de plus en plus de glaciers aller vers la diversification en proposant aussi des crêpes, des gaufres, en y ajoutant toujours une boule de glace », observe Timothée Arar-Jeantet à ce sujet.

« SANS DÉSAISONNALISATION, IL Y A TROP DE PRESSION SUR LES MOIS CHAUDS. ET SI L’ON TOMBE SUR UNE ANNÉE OÙ LA MÉTÉO N’EST PAS CLÉMENTE, CELA PEUT METTRE À RISQUE LE BUSINESS », QUENTIN BOURDONNAY, FONDATEUR D’ICEROLL.

Des dates clés

Pour se désaisonnaliser certains choisissent donc d’adapter leurs offres, d’autres revoient leur stratégie intégralement et une poignée misent tout sur la communication. Trois approches différentes qui se rejoignent toutefois autour de dates clés durant la période creuse. Des instants ponctuels qui peuvent parfois tirer vers le haut des mois moroses économiquement. « Pour les glaciers, c’est très important de ne pas rater la période des fêtes de fin d’année et la Saint-Valentin », analyse Timothée Arar-Jeantet.

Selon notre expert, les franchisés ont même tout intérêt à s’adapter à la veille de ces rendez-vous. « Ce n’est pas rare de voir les points de vente changer de décoration, de mettre une musique d’ambiance qui rappelle les fêtes pour Noël par exemple », détaille notre expert.

Aussi, tous les franchiseurs regardent en face la réalité de leur marché. « Quoi qu’il arrive, il y aura une saisonnalité, on ne pourra pas inverser intégralement le paradigme », rappelle Quentin Bourdonnay d’iceRoll. Un constat qu’il partage avec Laurent Franchi de la Maison Franchi. Mais nos franchiseurs peuvent se rassurer, avec l’arrivée des beaux jours de plus en plus tôt et les étés indiens qui s’allongent parfois jusqu’en octobre, la plage sur laquelle les glaciers auront un potentiel de forte activité s’élargit. Une affaire de réchauffement climatique, mais « bad news is a good news » diront les businessmen…

TANGUY PATOUX

Devenir glacier franchisé, c’est vraiment rentable ?

De manière générale, l’activité d’un glacier franchisé met 24 mois à se mettre en place. Après ce temps de rodage et de mise en place, l’activité peut générer en moyenne entre 300 000 et 600 000 euros par an. L’apport moyen pour rejoindre un réseau s’élève à 100 000 euros, mais certains franchiseurs ouvrent leur porte à de plus petits budgets. C’est le cas de Louise Glaces, où le ticket d’entrée n’excède pas 40 000 euros selon les chiffres de l’Observatoire de la franchise. Une fois lancé dans votre activité, vous devrez gérer d’une main de maître vos stocks et éviter les invendus, qui peuvent parfois plomber les finances. Pensez aussi à votre stratégie pour désaisonnaliser et ainsi moins dépendre de la météo !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité