Entre remèdes miracles et thèses complotistes, l’infodémie

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Retour sur la vague d’infos incontrôlées.

Publiée par The conversation France, l’analyse de Christine Dugoin-Clément, analyste en géopolitique, chercheuse à Paris 1-la Sorbonne (IAE) et à Saint Cyr Coëtquidan, IAE Paris – Sorbonne Business School.

Face à la pandémie de Covid due à ce virus inconnu, la population a été confrontée à une situation de crise. Une des conséquences directes aura été la recherche massive, compulsive, d’informations susceptibles de mieux comprendre la maladie et donc de faire baisser le niveau d’inquiétude individuelle. Si cette quête est légitime, elle aura ouvert la voie à diverses campagnes de désinformation et de diffusion de fausses nouvelles, notamment sur Internet qui, l’enfermement aidant, était devenu l’outil de communication privilégié. Cette expansion est telle que les Nations Unies parlent d’une « infodémie ». Dans ce contexte, l’analyse de l’impact de ces fausses nouvelles sur ceux qui les liront est un point important susceptible de mieux décrypter les principaux narratifs diffusés et les motivations.

Désinformation et facteurs d’opportunités
En France, le confinement a été décidé mi-mars. Avec cette décision, beaucoup ont alors pris conscience de la gravité de la situation et se sont interrogé.es sur ce qu’était vraiment la covid. Cette recherche massive d’informations a fourni une multitude d’opportunités pour mettre à profit la crise.

La cybercriminalité a explosé, à la faveur notamment du recours massif au télétravail (à titre d’exemple, la moitié des noms de domaine contenant « covid-19 » ou « coronavirus » créés depuis décembre favoriserait la diffusion de logiciels malveillants). En outre, nombre d’entreprises ont subi des attaques par ransomware – de Lise Charmel à Bouygues Construction. Enfin, les campagnes de désinformation se multiplient à grande vitesse.

Les narratifs sont divers et varient tant en fonction des publics que des pays. Il serait illusoire de réduire ce déferlement à la France, voire à l’Europe. Ils s’organisent autour de plusieurs thèmes principaux. On observe ainsi de fausses informations médicales : certaines proposent des remèdes miraculeux, rapides et peu coûteux, tel que la consommation d’ail. D’autres nient l’importance des gestes barrières. Des narratifs « complotistes » s’attaquent à l’origine du virus qui serait, dans certains cas, le fruit de recherches en armement biologique, et aurait été volontairement répandu en Chine par les États-Unis ou, plus largement, par diverses puissances européennes. D’autres théories liaient la covid au développement du réseau 5G.

Les fausses informations : pourquoi y croire ?

Que les fausses informations se développent est un fait. Il reste cependant que leur montée en puissance est directement corrélée à l’importance que les auditeurs y attachent, importance qui les incitera à les partager avec le plus grand nombre.

Dans le cas de « l’infodémie », l’importance rejoint la crédibilité accordée au contenu. La prise de conscience, souvent tardive et brutale, de la létalité du virus a induit une angoisse amplifiée par le risque et l’incertitude engendrée : pas de remède reconnu, des modes de propagation et des périodes d’incubation floues au début de la crise.

Parce que l’incertitude totale est particulièrement anxiogène, la personne angoissée tentera par tout moyen d’y échapper, notamment en cherchant à donner du sens à la situation afin de limiter l’incertitude et d’en reprendre le contrôle. L’un des moyens de reprendre la main et de faire décroître l’inconfort psychologique, consistera à transformer une incertitude, d’autant plus anxiogène qu’elle n’est pas quantifiable, en un risque qui, bien que tout aussi périlleux, pourra s’évaluer et auquel on envisagera d’échapper plus facilement. Si ce premier point explique la recherche, il ne résout pas la croyance.

Plusieurs aspects évoquent cette question, notamment les biais cognitifs à l’œuvre lors de la lecture d’un contenu. On observe en effet que, bien que paraissant parfaitement improbables, certaines formulations poussent malgré tout le lecteur à choisir d’y croire, à les discriminer positivement au milieu d’une multitude d’informations.

Bien que surprenante, cette observation rejoint les théories selon lesquelles les caractéristiques superficielles peuvent générer une influence déterminante sur le choix final. À quoi s’ajoutent plusieurs facteurs susceptibles de déterminer la décision de l’auditoire, parmi lesquels de nombreux biais cognitifs. À même de rapidement discriminer des éléments d’information et donc de prendre des décisions paraissant intuitives.

Malheureusement, cette rapidité, qui exclut le plus souvent le raisonnement de fond et l’analyse, risque de soulever de nombreuses difficultés. Dans le cas présent, plusieurs biais s’observent, parmi lesquels l’illusion de contrôle. Laquelle, en donnant le sentiment de maîtriser une situation, va contrecarrer l’incertitude et l’inconfort qui en résulte : une information qui donne l’impression de reprendre le contrôle bénéficiera de ce biais.

Imaginons ensuite que la personne influencée par ce biais partage cette information. Apparaîtra alors le biais de conformisme : si l’information est largement diffusée, elle est réputée faire l’unanimité et doit donc être vraie. Ce biais pourrait se doubler de celui de simple exposition selon lequel l’exposition répétée à un élément, ici une « information », fera naître un sentiment positif à son endroit.

Dans le cas d’informations visant à miner ou à renforcer la crédibilité de diverses entités, d’autres biais risquent de s’ajouter à ceux déjà évoqués. L’un d’eux, le biais de confirmation, poussera plus naturellement les personnes à chercher des informations confirmant leurs propres croyances. Il pourra se conjuguer avec un effet boomerang qui annihilera les tentatives de persuasion en renforçant les croyances initiales. Un corollaire sera alors le biais de corrélation qui donnera l’illusion d’une relation entre des éléments pourtant sans rapport entre eux, ou à la marge. À la simple exposition évoquée dans le premier cas pourra s’ajouter la disponibilité en mémoire : une information revue à maintes reprises reviendra plus naturellement à l’esprit et paraîtra, à tort, d’autant plus crédible. Enfin, pour peu que cette information ait été vue en premier, elle bénéficiera d’un biais d’ancrage : elle sera perçue comme une référence, ce qui faussera gravement le jugement.

On le voit, ces biais, qui ne sont pas exclusifs de tous ceux susceptibles d’influencer la perception d’une information, feront le jeu de la recherche d’éléments propres à faire disparaître une incertitude particulièrement inconfortable. En l’espèce, l’urgence ressentie pour limiter les impacts du virus tendra naturellement à renforcer les effets de biais cognitifs.

Pourquoi les diffuser ?

Outre le souci de conforter une croyance propre via le consensus, d’autres facteurs conduiront une personne à partager un contenu, et à participer ainsi à le rendre viral jusqu’à atteindre le seuil d’« infodémie ». De récentes études ont exploré le lien entre charge émotionnelle d’un contenu et viralité. Ces recherches montrent qu’un contenu doté d’une charge émotionnelle est plus facilement partagé. Les chercheurs ont mis en évidence que l’amplitude et la nature de l’émotion jouaient un rôle important.

Ainsi, un contenu qui véhicule une émotion positive sera plus facilement partagé qu’un contenu porteur d’une émotion négative de même intensité. Cependant, si les émotions positives sont plus largement partagées, il reste que c’est l’intensité de l’émotion qui sera déterminante : une émotion positive de moyenne intensité sera moins virale qu’une émotion négative de forte intensité, par exemple un contenu suscitant le contentement versus un autre induisant la peur. Le cas de l’effet curatif que la consommation de l’ail aurait sur le virus est illustratif : ce contenu est positif, car il apporte une solution peu coûteuse qui, réduisant l’incertitude, contribue à reprendre le contrôle de la situation.

Les acteurs de l’« infodémie »

Dans le cas précis de « l’infodémie », plusieurs acteurs étatiques sont montrés du doigt. Aux États-Unis, le secrétaire d’État, Mike Pompéo a accusé la Russie, la Chine et l’Iran d’être à la tête de la campagne massive de désinformation. En Europe, le service pour l’action extérieure a déclaré dans un rapport, début avril que, s’agissant de la covid, les organes de communication pro-Kremlin ont joué un rôle de désinformation de premier plan afin d’aggraver la crise dans les pays occidentaux, notamment en affaiblissant la confiance du public dans les systèmes de santé.

Entre le 22 janvier et mai 2020, 80 cas de désinformation diffusés par des sources liées à la Russie, tous en relation avec la covid, ont été recensés dans sa base de données publique. Si les visées géopolitiques de déstabilisation sont évidentes, le souci de la Russie d’améliorer son image est également manifeste. Cette démarche, adoptée par la Russie mais aussi par la Chine, tend à valoriser leurs capacités de gestion de crise par rapport à d’autres États. Il y a donc là un enjeu de réputation à destination tant de la scène internationale que de la politique interne. Plusieurs articles ont ainsi mis en exergue les défaillances des pays européens alors qu’étaient soulignés l’efficacité de la gestion et le souci du bien-être de la population des pays à l’origine des publications.

Avec la pandémie est venue l’infodémie. Aussi désagréable, voire cynique, que cela paraisse, il serait naïf de croire que cette vague de fausses nouvelles a pour finalité exclusive d’affecter le jugement individuel. Bien au contraire, elle tend à soutenir la définition de stratégies d’influence visant à la perturbation de structures économiques ou étatiques tout en expertisant les réactions des cibles. Ces analyses seront déterminantes dans le cas où de nouvelles stratégies offensives devraient être définies. De fait, elles permettront de connaître la réactivité de l’objectif et d’anticiper ses réponses. Si l’infodémie est une problématique d’actualité, ses conséquences pourraient être perceptibles dans les temps à venir, influençant jusqu’à la conception des stratégies qui seront élaborées dans les domaines les plus divers.

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