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Comment un secteur porteur s’est réinventé
Véritable enjeu social et économique, la garde d’enfants s’est imposée ces dernières années comme un marché porteur en termes d’emploi et d’activité en France. Puis survint la crise sanitaire. Le premier confinement a fait très mal aux enseignes de la garde d’enfants et à leurs franchisé·es, ainsi qu’aux professionnel·les du secteur en général. Après une année 2020 en montagnes russes, entre confinements, fermetures des écoles et adaptation express, la reprise pointe (timidement) le bout de son nez pour 2021.
Il y a tout juste un an, avant confinements, le marché de la garde d’enfants à domicile avait le vent en poupe et en poupons. Parmi les rares secteurs qui échappaient, déjà, à la crise de l’emploi, ses enseignes profitaient d’une demande en constante progression, grâce notamment à un taux de natalité (1,88 enfant par foyer) qui plaçait la France en tête des pays les plus féconds de la vieille Europe, malgré la baisse progressive des naissances. Avec près de 4,6 millions d’enfants de moins de 6 ans, selon le dernier recensement, dont la moitié n’ont pas l’âge pour être scolarisés, une vague de pénurie des places en crèche et le manque cruel d’assistantes maternelles, de plus en plus de parents se tournent vers la garde d’enfants à domicile. Autre facteur : 20 % des familles françaises sont monoparentales et près de 84 % des femmes de 25 à 49 ans sont actives. La garde d’enfant est un besoin premier, et plus de 3,5 millions de personnes emploient 1,6 million de salarié·es à leur domicile. Bien que très porteur, le marché de la garde d’enfant n’en reste pas moins très dépendant du contexte économique et des établissements accueillants des enfants (écoles, crèches, centres de loisir…). Pour les enseignes en franchise du secteur (All4home, Apef, Babychou Services, Kangourou Kids, La compagnie des familles…), le coup d’arrêt de début 2020 fut brutal, et la belle dynamique d’activité s’est heurtée à un mur : le premier confinement.
Chute brutale
Le mois de mars restera comme une période frustrante pour les professionnel·les de la garde d’enfants. Durant les premières semaines de la crise sanitaire, les restrictions contraignantes pour les familles se succèdent (fermetures des crèches et des écoles), la demande pour les services de garde explose. Dans un premier temps seulement. Le 12 mars, jour de l’annonce de la fermeture des écoles, la demande s’affole, le 27 mars, jour de l’annonce du confinement généralisé, le soufflé retombe. Les parents se rendent compte qu’ils n’ont plus besoin de faire garder leurs enfants. « Le choc du premier confinement a été très dur, nous avons subi de plein fouet la fermeture des écoles et les restrictions de déplacement. Sur les mois de mars et d’avril nous n’avons presque pas eu d’activité, même si nous avons continué de garder les enfants des soignant·es », confirme Claire Lanneau, fondatrice et directrice de Babychou Services, l’un des réseaux en franchise leaders du secteur qui compte 95 agences. Le gros du travail de la garde d’enfants commence en sortie d’école et de crèche, autant dire que le coup d’arrêt est net.
Bien sûr, les enseignes de la garde d’enfants ont pu, comme beaucoup, bénéficier du chômage partiel pour leurs salarié·es et limiter la casse. Sur l’année, les pertes d’activité sont conséquentes, bien que contenues grâce aux meilleures performances de l’été et de la rentrée : 20 % en moyenne pour Babychou, et 30 % en Île-de-France. Des pertes dans le droit fil de la baisse du volume d’heures déclarées au global pour la garde d’enfants à domicile : -31,3 % sur le deuxième trimestre. Et la masse salariale en subit les conséquences. Selon un rapport de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss), la masse salariale versée par les employeurs particuliers aux salarié·es à domicile (garde d’enfants, aide ménagère, aide à la personne…) a chuté de 6,1 % au premier trimestre et de 14,1 % au deuxième trimestre. Au total, le manque à gagner sur les mois avril-mai-juin représente une perte de 419 millions d’euros par rapport à 2019. Le loup de la crise et de l’arrêt de l’activité est dans la bergerie des réseaux, qui n’ont d’autre choix que se réinventer. « Les maîtres mots pour Babychou services : agilité et adaptabilité », résume Claire Lanneau.
Une année en montagnes russes
Si l’activité s’est éteinte pendant quelques semaines lors du premier confinement, elle a repris au fur et à mesure dès le déconfinement de mai, au prix d’une adaptation incontournable et d’une pédagogie réfléchie pour rassurer parents et intervenant·es à domicile. Pour la fondatrice de Babychou, la force d’un réseau a joué tout son rôle : « Nous avons deux activités : l’activité opérationnelle de garde d’enfants et puis celle de franchiseur qui implique une grande responsabilité vis-à-vis de nos franchisé·es. » Pour Babychou, et pour les autres, l’adaptation passe par l’instauration de stricts protocoles sanitaires et des gestes barrières pour les interventions à domicile, masquées désormais. « Il s’agissait aussi d’aider nos franchisé·es à maintenir le lien avec les parents et le client·es. » L’enseigne lance une newsletter, propose des activités, offre aux familles de grouper des heures de garde sur une même journée ou demi-journée au lieu des plages horaires disséminées habituelles, pour « que les parents aient des moments de tranquillité pour travailler ». Bon an mal an, les professionnel·les de la garde d’enfants remontent la pente, bien que toujours très ralenti·es par le développement exponentiel du télétravail. En septembre, le secteur bénéficie directement du retour à l’école, même si, comme le rappelle notre dirigeante de franchise, « en septembre l’activité est revenue à la normale si on peut dire, mais on ne peut pas parler de hausse. En octobre et novembre, la baisse s’est de nouveau manifestée ». Là encore, le chômage partiel contient la casse. Bis repetita, le second confinement réduit à nouveau les besoins de garde d’enfants. Si, cette fois-ci, les écoles restent ouvertes, l’adoption généralisée du télétravail et les nouvelles habitudes des parents sont autant de mauvaises nouvelles pour les enseignes du secteur. On pourrait penser que beaucoup de parents se tourneraient à nouveau vers la garde à domicile pour pouvoir retourner au bureau. C’est pour l’instant tout le contraire : « Il n’y a pas de hausse de la demande, le télétravail diminue les volumes horaires de nos prestations. On est dans une sorte d’expectative, je pense que beaucoup de parents préfèrent encore s’abstenir. » Reste qu’après plusieurs mois sous le régime du télétravail, la pratique tend à montrer ses limites, tant pour la vie professionnelle que la gestion du foyer. Une chose est sûre, tout est lié, et les professionnel·les de la garde d’enfants n’ont pas prise sur le cours des événements.
Recruter malgré la crise
Malgré la chute intempestive de la demande, tout n’est pas à jeter en 2020 pour la garde à domicile. Chaque année, la plate-forme de garde d’enfants Yoopies publie un rapport sur le coût de la profession en se basant sur les données de l’Acoss. Verdict : le coût moyen s’établit en 2020 à 9,31 euros/heure (en net), soit une augmentation de 2,08 % en un an. En Île-de-France, le coût atteint 9,41 euros/heure. Une hausse logique, directement liée à l’inflation. Le métier d’assistante maternelle, lui, est qualifié de « grand perdant de la crise sanitaire », par Yoopies.
Du côté des enseignes en franchise du secteur, crise et recrutement ne sont pas antinomiques. Le développement des réseaux se poursuit tant bien que mal. Et l’entreprise de recrutement se fait difficile, souvent par manque de candidatures, entre appréhension de travailler au domicile d’un particulier dans le contexte sanitaire et frilosité de beaucoup de chercheur·ses d’emploi. Chez Babychou services, on a recruté près de 2 000 nouveau·elles salarié·es, dont 500 alternant·es, comme l’explique la directrice Claire Lanneau : « Nous avons beaucoup développé l’alternance et l’emploi des jeunes, en suivant la plan du gouvernement 1 jeune 1 solution ». On mise sur la jeunesse donc, moins coûteuse, mais aussi en recherche de solutions et d’activité dans une période particulièrement difficile pour les étudiant·es. Outre les intervenant·es à domicile, Babychou observe également le rajeunissement de ses partenaires en franchise qui se lancent dans l’aventure de franchisé·e de plus en plus tôt. Si la crise a freiné le développement et soumis les trésoreries à rude épreuve, l’expansion a continué. « Nous avons tout de même fait signer des entrepreneur·ses déjà dans le processus de création d’entreprise en 2020, on a organisé des promotions de confiné·es rencontrés à distance ! En ce début 2021, le rythme et l’activité s’accélèrent, c’est très encourageant, on projette d’ouvrir une quinzaine d’agences cette année », lance Claire Lanneau. 2021 commence sous le signe de l’optimisme pour les professionnel·les de la garde d’enfants, qui peuvent se réjouir d’avoir échappé – pour l’instant – à un nouveau confinement et à la fermeture des écoles. Reste que l’optimisme d’aujourd’hui se doit d’être réaliste, l’équilibre reste incertain. 2020 et son lot d’amertumes et de désillusions ne sont toujours pas très loin.
Adam Belghiti Alaoui