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Dans un contexte difficile, le commerce coopératif et associé, l’un des visages de la franchise, affiche une santé solide en France sans renier ses valeurs d’équité et de solidarité. Mais il lui faut désormais affronter la concurrence des multinationales et de la financiarisation du… rêve utopiste des origines.
«Ceci n’est pas une utopie. » Voici comment le socialiste Charles Fourier aurait pu décrire le commerce coopératif et associé. Au début du xixe siècle, le philosophe imagine un lieu de vie lié à des activités agricoles – le phalanstère – qui a vocation à devenir un laboratoire social. Un tel projet pose les bases du mouvement coopératif naissant. Qu’ils soient trois cents ou mille cinq cents, tous les sociétaires sont des copropriétaires qui détiennent des actions, lesquelles leur seront remboursées s’ils le souhaitent « au prix du dernier inventaire ». Le système coopératif du phalanstère démontre les avantages de « l’esprit de propriété ». « Un des ressorts les plus puissants pour concilier le pauvre et le riche, c’est l’esprit de propriété sociétaire ou composée, écrit-il dans Théorie de l’unité universelle. Le pauvre, ne possédât-il qu’une parcelle d’action, qu’un vingtième, est propriétaire du canton entier, en participation. » Deux cents ans plus tard, l’inspiration de Charles Fourier est plus que jamais d’actualité.
Un poids lourd de l’économie française
Après avoir franchi la barre symbolique des 150 milliards d’euros de recettes en 2016, le commerce coopératif et associé (CC&A) a battu un nouveau record en 2017. Selon les chiffres présentés début juin par la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA), le chiffre d’affaires du secteur s’est établi l’an dernier à 152,3 milliards d’euros, en hausse d’1,3 %. Le commerce associé confirme ainsi son rôle majeur dans l’économie française. À lui seul, il représente 7 % du PIB français et pèse 30 % du commerce de détail. Surtout, le secteur pèse d’un poids majeur dans le marché de l’emploi : « Dans le commerce coopératif et associé, c’est l’humain qui fait la force des réseaux et des enseignes, explique la fédération. En 2017, les 30 740 entrepreneurs du secteur ont créé 6 788 emplois. Prêts à investir sur le long terme grâce à un modèle économique qui les y autorise, ils emploient 553 557 personnes », souligne le président de la FCA, Éric Plat, président d’Atol les Opticiens. De 2011 à 2015, la masse salariale a augmenté de 1,9 %, soit deux fois plus rapidement que celle de l’ensemble du commerce (+1,2 %).
Au service des régions
L’essor du commerce coopératif et associé est tel qu’il constitue l’un des principaux moteurs du dynamisme des territoires et des villes. À l’heure où un Français sur deux vit dans une ville de moins de 10 000 habitants, 50,8 % des points de vente du commerce coopératif et associé sont implantés dans ces communes. Cette proximité se vérifie également dans les villes de moins de 50 000 habitants : 10,5 % des Français sont installés dans des villes de 20 000 à 50 000 habitants et le commerce coopératif et associé y possède 15,6 % de son parc. « Il s’agit d’un agrégat de PME françaises enracinées dans le tissu économique local. Nous ne décidons pas de nous implanter de manière opportuniste. En tant qu’indépendants, nos entrepreneurs adoptent une approche raisonnée et non spéculative. Nous avons une place incontournable dans nos villes. Notre activité économique est concrète pour les Français. Nous produisons de la richesse localement et surtout cette valeur reste au local. Sans consolidation boursière, sans optimisation fiscale, nous redistribuons notre valeur ajoutée aux collectivités territoriales, à nos communes, à nos régions. Le commerce coopératif et associé investit sur les terres françaises ! » Chez Éric Plat, l’enthousiasme s’entend…
Équité et solidarité
Le succès du commerce coopératif et associé s’explique aussi par son fonctionnement rationnel et équitable. Une manière d’organiser des réseaux de points de vente (magasins, agences, hôtels…) à partir de la volonté de plusieurs entrepreneurs indépendants de se regrouper, de mutualiser leurs moyens, leurs idées, pour construire ensemble un réseau. Les réseaux du CC&A sont constitués et contrôlés par des entrepreneurs indépendants qui ont la particularité d’être à la fois membres du réseau et ses actionnaires. Associés au capital de leur groupement, ils participent pleinement aux décisions.
Ils sont majoritairement organisés en coopératives de commerçants détaillants. Des groupements qui donnent le moyen aux entrepreneurs associés de mettre en place des ressources pour assurer la performance, le développement et la pérennité de leurs entreprises : centrales d’achats et moyens logistiques, concepts de vente et enseignes, gammes et marques propres, opérations commerciales, campagnes de publicité nationales et locales, écoles de formation, cartes de fidélité, moyens informatiques, outils financiers…
L’union fait la force
Donc, le commerce coopératif et associé est un modèle économique à travers lequel des candidats qui aspirent à devenir entrepreneurs vont créer ou reprendre des points de vente en exprimant pleinement leur liberté entrepreneuriale dans un cadre censé offrir à la fois les conditions de réussite commerciale de leurs entreprises et l’épanouissement de leur projet de vie. Difficile de résister aux sirènes après un tel discours ! « L’adhésion à ce groupement offre de nombreux atouts, confirme Jean-Pierre Nakache, adhérent Canal BD, à la tête de deux librairies parisiennes Bulles en tête. Le premier, le plus essentiel, c’est le partage et la possibilité d’être en relation avec des gens expérimentés. C’est très précieux de ne pas être tout seul et de bénéficier du conseil avisé de ses aînés. Et puis le groupement met à disposition de ses adhérents de nombreux outils, tel un observatoire des ventes, absolument indispensable au quotidien. Enfin, il dispose d’une force de frappe indéniable. Nous sommes bien meilleurs à 120 que tout seul dans la chaîne du livre. » Dont acte.
Un point de vue partagé par Pierre Caberlon, dirigeant de Piscine Weekend à Bourgoin-Jallieu en Isère, presque mot pour mot : « Mon frère avait rejoint Euro Piscine Services avant que je ne reprenne l’entreprise. J’avais déjà eu l’occasion d’approcher ce réseau en participant notamment à des réunions. J’ai souhaité y rester car il est d’un énorme soutien pour ma société. Être entouré de gens qui ont de l’expérience, avec qui l’on peut se confier et échanger, est essentiel dans son activité. J’ai pu m’appuyer sur eux, ça m’a aidé à continuer. Il existe une convivialité au sein de ce réseau et les relations n’ont fait que s’enrichir en 13 ans. Les personnes que j’ai pu rencontrer, plus que des collègues, sont maintenant des amis ! »
Un groupement d’indépendants, propriété… d’indépendants
L’indépendance est un autre atout du commerce coopératif et associé. Si les commerces du secteur ont l’apparence du commerce intégré ou en franchise aux yeux du public, « il porte dans ses chromosomes les notions d’équité et de solidarité », expliquait récemment Éric Plat dans une tribune aux Échos. Les excédents générés sont restitués aux adhérents, les structures de tête n’ont pas vocation à distribuer des dividendes. Un groupement est une société de personnes, et non de capitaux. « Je savais qu’en choisissant un réseau du commerce coopératif et associé j’allais rejoindre un groupement d’indépendants qui appartient uniquement à ses indépendants et ça, c’était primordial pour moi. S’allier aux Mousquetaires pour mon projet entrepreneurial m’a permis de bénéficier d’un concept éprouvé, d’un fonctionnement organisé et réfléchi », confirme Olivier Besset, propriétaire de deux Intermarché Express en centre-ville de Nantes. L’indépendance constitiue l’une des principales raisons qui a incité Jean-Christophe Félix à rejoindre Optic 2000 : « Notre indépendance dans nos propres affaires est réelle et nous cotisons pour une structure dont la finalité est de nous servir. De par mon adhésion, je deviens actionnaire du groupement et membre actif. Je participe à la vie collective de la coopérative. Un plus pour mes propres affaires. Les multiples formations et rencontres proposées par le groupement nous réunissent entre associés de la coopérative, nous partageons les mêmes valeurs. Quel indépendant isolé pourrait y prétendre ? »
Une concurrence déloyale
Alors, tout semble aller pour le mieux dans le commerce coopératif et associé. En réalité, pas tout à fait. Le secteur affronte la concurrence croissante du e-commerce. Pour l’instant, les groupements font mieux que de la résistance comme en témoigne la croissance de leurs activités. Une robustesse qui s’explique par la rapidité avec laquelle le secteur a accompagné la révolution numérique. « Nous sommes au départ des acteurs du commerce traditionnel. C’est d’ailleurs notre fierté. Nous sommes la plus ancienne forme de commerce en France. Qui dit modèle centenaire, dit modèle qui s’adapte en permanence. D’ailleurs, nos réseaux l’ont bien compris. Voilà longtemps qu’il n’y a plus d’un côté le commerce physique et de l’autre, l’e-commerce. Désormais, c’est l’omnicanalité qui prime », explique Éric Plat. Mais le dirigeant redoute que le rapport de force ne finisse par basculer en faveur des multinationales, et notamment des plates-formes de distribution en ligne comme Amazon, lesquelles paient bien moins d’impôts que les acteurs français du commerce coopératif et associé. « D’un côté, vous avez nos 30 740 chefs d’entreprise du CC&A qui emploient sur le territoire français, créent de la valeur au local et participent massivement aux mécanismes de redistribution via les impôts et taxes. De l’autre, vous observez des acteurs du même marché, avec des sièges sociaux basés à l’étranger, qui sont vus comme l’avenir de la nation et qui ne sont ni inquiétés ni handicapés par une fiscalité lourde. Alors que nous nous accordons avec notre temps, comment se fait-il que nous subissions une fiscalité d’une ancienne ère ? »
Le risque de la financiarisation du modèle
Autre source d’inquiétude pour la FCA, l’intrusion de la finance dans le modèle des coopératives depuis la perte de contrôle de la structure de tête de Sport 2000 au profit d’un fonds d’investissement. Comment concilier en effet une organisation qui redistribue ses excédents aux adhérents sous forme financière ou sous forme de publicité, de produits ou de services à une organisation mue par la simple logique financière, souvent court-termiste. Pour Éric Plat, résoudre ce conflit est devenu un impératif. De nombreux points de vente, et les emplois qui y sont associés, se sentent menacés et s’inquiètent de ce mariage dont l’issue est connue d’avance.
Pierre-Jean Lepagnot