L’arbitrage en franchise, attention aux abus

« Si j’avais su j’ "aurais pas venu" et j’aurais pris un arbitre… »
« Si j’avais su j’ "aurais pas venu" et j’aurais pris un arbitre… »

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Les clauses induisant l’arbitrage en cas de conflit sont à analyser avec précision par le franchisé selon Me Monique Ben Soussen, fondatrice de BSM Avocats, pour éviter d’être privé d’agir en justice.

Les parties peuvent décider de confier le règlement de leurs éventuels différends à un tribunal composé de juges privés, désignés par elles-mêmes. Tout peut être prévu dans les contrats : nomination et pouvoirs des arbitres, procédure à suivre, délais à respecter, possibilité ou non d’un appel. L’arbitrage, alors “ad hoc”, est comme à la carte. De quoi soustraire leur litige à la compétence des juges étatiques pour plusieurs raisons : gain de temps, compétence des juges, confidentialité. « On ne paie pas l’accès à la justice généralement. Ici, pour éviter le tribunal de commerce ou de grande instance, on rémunère des juges privés. Un grand groupe y a par exemple recours quand il rencontre des problèmes avec l’Etat russe, qui doivent rester confidentiels et être traités délicatement », illustre Monique Ben Soussen, fondatrice de BSM Avocats, cabinet dédié à la franchise et au droit de la distribution. Mais la pratique est-elle adaptée pour les réseaux ?

Parfois un carcan artificiel

« Il y a une certaine pertinence à faire appel à des spécialistes ingénieurs pour juger, alors qu’il y a eu crash d’avion et qu’un sous-traitant est mis en cause. Mais le degré technique n’est pas aussi élevé en franchise », nuance Monique Ben Soussen, qui déplore des contrats de plus en plus volumineux et complexes. Et de supposer des intérêts moins avouables : « le but peut être d’éviter que les gens aient recours à la justice. Trois arbitres rémunérés, chacun de 10 à 15 000 euros, peuvent constituer un obstacle dissuasif à un recours pour un entrepreneur indépendant, franchisé ou concessionnaire ». Le franchisé qui va en justice est généralement exsangue et cherche à obtenir l’annulation de son contrat. Par définition, il ne pourra payer, et les banques ne prêtent pas pour ce cas de figure. Le recours est rendu plus onéreux, mais aussi plus compliqué. Des franchiseurs ont par exemple imaginé insérer dans leur contrat une clause qui prévoit que l’arbitrage se déroule à l’étranger, généralement aux Etats-Unis, en appliquant un droit étranger. Un contrat de franchise de prêt-à-porter exécuté en France peut stipuler un arbitrage en Suisse, en langue anglaise, avec application du droit américain des marques. « Dans la distribution alimentaire, une grande enseigne avait opté pour la location-gérance.  Il y avait donc contrat de franchise, contrat de location gérance et contrat d’approvisionnement. Le contrat de franchise prévoyait l’arbitrage. Pour celui de location-gérance la clause d’arbitrage de la franchise était étendue. Et pour le contrat d’approvisionnement, c’était au tribunal de commerce qu’il fallait s’adresser », se souvient l’experte, dénonçant un éclatement des compétences et un éparpillement du contentieux, allongeant finalement les délais.

Des arrangements dont il faut se méfier

Le Code de procédure civile connaît pourtant certaines règles permettant à un juge étatique de statuer de manière tout aussi efficace. Et l’argument de protection du savoir-faire ne semble pas très puissant : celui-ci n’est jamais étalé dans des décisions rendues par des juges étatiques. L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations aurait dû changer la donne.  Consacrant et élargissant une jurisprudence bien connue en matière de clause limitative de responsabilité (Cass. Com., 29 juin 2010), l’article 1170 du Code civil dispose, depuis le 1er octobre 2016, que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Mais les tribunaux officiels sont généralement trop heureux de se décharger ; ils tolèrent donc ces clauses dans les contrats, qui peuvent déboucher sur le résultat inverse de ce qui est recherché : si le franchisé ou le concessionnaire saisit le tribunal de commerce en dépit de la clause, le défendeur, franchiseur ou concédant, soulèvera logiquement une exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral. « Le tribunal pourrait balayer cette argutie au motif que la clause est manifestement soit nulle, soit inapplicable. En pratique, il ne le fait que très rarement », déplore l’avocate. La spécialiste conclut qu’ « elle n’a pas une opposition de principe à l’arbitrage, mais que ce système n’est pas adapté à la franchise », recommandant au franchisé une certaine vigilance au moment de signer. Celui-ci doit avoir conscience de la portée de cette clause. Il doit impérativement se renseigner sur les règles de fonctionnement de l’arbitrage prévu au contrat et plus particulièrement sur ses conditions financières.

Julien Tarby

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