Ces réseaux qui sont montés en gamme sans encombre

Le secret de la réussite ? N’oublier personne dans la montée en gamme.
Le secret de la réussite ? N’oublier personne dans la montée en gamme.

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Ne la joue pas comme Icare…

Certains ont obtenu l’adhésion des franchisés originels et ont convaincu les clients, d’autres non. Les bonnes pratiques existent, les pièges aussi…

Le Franprix de quartier qui se métamorphose, avec une nouvelle identité visuelle, des machines pour faire du jus d’oranges pressées, des rayons élargis  contenant plus de frais… Tout le monde a un jour ou l’autre vécu la montée en gamme d’un espace de vente. « Nous proposons le premium au prix du standard », annonçait Georges Abbou, président fondateur de l’enseigne d’AvivA qui vend des cuisines dans les espaces repensés. Mais tous les développeurs de réseaux savent qu’il est toujours délicat de changer de positionnement, car essayer de tutoyer les sommets signifie aussi parfois perdre des clients en route, ou des franchisés qui ne veulent ou ne peuvent assumer la mue. Mieux vaut bien se connaître et bien l’expliquer, pour ne pas se brûler les ailes à la manière d’Icare qui a trop voulu se rapprocher du soleil. « Mieux vaut être bien positionné dès le début sur le marché, car monter en gamme n’est pas une sinécure », soutient d’ailleurs Christophe Bellet, fondateur et dirigeant Gagner en Franchise. Le jeu en vaut la chandelle pourtant. Nombreux sont ceux qui peuvent en témoigner. Lidle n’a pas à regretter sa montée en gamme depuis 2012, même si 850 magasins sont reconstruits en trois ans. Grâce aux nouveaux espaces, aux publicités, aux produits plus élaborés, à la stratégie commerciale plus musclée et à la formation des équipes, le distributeur allemand a su augmenter sa part de marché et changer son image de hard-discounter.

Pourquoi cette ascension généralisée ?

Tous auraient donc vocation à se lancer dans ce grand escalier de la consommation, la « premiumisation » étant synonyme d’innovation. En 15 ans, le volume des ventes de burgers a été multiplié par 13 en France, et ce marché ne doit pas sa croissance folle aux enseignes de fast-food en premier lieu, mais aux restaurateurs qui l’ont ajouté, petit à petit, à leurs cartes, selon des critères plus sélects. Et quand les marchés commencent à monter en gamme, ceux qui ne l’ont pas fait prennent un coup de vieux. « L’évolution des réseaux est nécessaire. Les goûts et exigences des consommateurs se perfectionnent, et il faut garder leur attention. Dans la restauration il importe de changer le décor pour éviter leur lassitude », illustre Fabienne Hervé, fondatrice et dirigeante de FH Conseil, agence de communication pour les franchises, membre du collège des experts de la FFF. La volonté de débanaliser le produit doit primer pour se démarquer de la concurrence. Ainsi Beauty Success constitue-t-il un cas d’école en revoyant son concept d’institut de beauté. C’est aussi un moyen d’éviter la guerre des prix qui rogne les marges, comme l’illustre l’alimentation avec le vin, la bière, le chocolat, le café… « C’est un moyen de lutter contre l’obsolescence, le manque de CA ou encore de rentabilité », énumère Nathalie Dubiez, fondatrice d’Aureabee, écosystème financier accompagnant le développement d’enseignes. Ces efforts représentent aussi un travail de fond sur l’image générale renvoyée. « Pour que le client perçoive qui on est, il s’agit de communiquer au-delà de l’évidence, du produit ou du service : quand Body Minute développe des gammes de produits dans ses instituts, qui sont aussi vendus dans les rayons de Monop Beauty entre autres, c’est de la « premiumisation » que les esprits vont intégrer », précise Christine Molin, présidente de CMC. Selon cette ancienne responsable du Pôle franchise LCL, une franchise de distribution a toujours intérêt à proposer des services complémentaires, quand les spécialistes des services doivent développer des produits.

Qu’est-ce que la « premiumisation » ?

La « premiumisation » n’est pas seulement du relooking. « Quand le réseau de franchise Jeff de Bruges a changé d’identité, ou encore le réseau immobilier de coopérative Orpi, le client final a constaté l’évolution visuelle, mais c’est toute l’approche métier qui a été repensée », précise Laurent Poisson, président du cabinet de conseil Participe Futur. Le parcours client est repensé, « ce qui passe bien souvent par la formation des collaborateurs qui ont un autre rôle d’accompagnement », avance Nathalie Dubiez, citant McDonald’s qui expérimente le service à table. La métamorphose n’est donc pas uniquement de façade, et oblige à privilégier d’autres profils pour le recrutement, et à revoir les process. « Cela signifie plus de rigueur pour garantir dans le temps un certain niveau de qualité. Les gestes sont millimétrés, tout est normé dans le manuel d’exploitation. McDonald’s a 1 700 pages, quand la moyenne des franchises en restauration atteint plutôt les 150 pages », observe Bernard Boutboul, créateur et directeur général du cabinet Gira Conseil, spécialisé dans la consommation alimentaire hors domicile. Les investissements sont conséquents, sur le matériel (évolution du SI, décoration…), mais aussi l’immatériel (recrutement, formation, digital…). « Lors de son évolution Monceau Fleurs a mis en place un programmes de fidélité, un Click&Drive, un nouveau concept architectural… Le métier fondamental est resté le même, mais il a fallu mettre en place des formations », cite en exemple Fabienne Hervé. Le positionnement ne change pas radicalement. « Je parlerais plutôt de services additionnels. Auparavant on se rendait chez Darty pour prendre une machine à laver, maintenant on va bénéficier du SAV, de la garantie, de la livraison gratuite… Carrefour va communiquer sur ses systèmes de fidélité, sur des promotions ciblées en prenant mieux en considération le profil du consommateur », ajoute Christine Molin.

Les passages obligés parfois négligés

Car la transition est délicate à gérer. Il implique de rester en cohérence avec le concept et ce qu’il représente. « Bien évidemment il faut bien définir son identité au préalable. Le franchisé se braquera si au départ il a une mauvaise compréhension de ce qu’est l’enseigne, de son positionnement et du savoir-faire apporté », note Christine Molin, reprochant à certains franchiseurs de ne pas aller assez loin dans la définition : « bien souvent le fondateur évoque l’architecture, la centrale d’achat et d’approvisionnement… Les éléments qui séduisent le consommateur et constituent son savoir-faire lui semblent être du bon sens ». L’humilité est parfois mauvaise conseillère, et il faut déterminer exactement ce qui fait le succès de l’enseigne – par exemple l’abonnement et la non prise de rendez-vous chez Body Minute, la capacité de telle enseigne à toucher un public de  moins de 18 ans… – pour ensuite évoluer de manière cohérente au niveau du produit, de la communication, de la stratégie de distribution. « Grâce à ce travail en amont, le franchisé comprend tout de suite la cohérence et ne se pose pas de question. Quand les hôtels Ibis Styles sont nés, les membres du réseau savaient pourquoi les clients ne voulaient plus d’hôtels si formatés. Le concept où on a l’impression que le lieu est différent a tout de suite été accepté », ajoute la spécialiste. La totale adhésion des franchisés semble cruciale pour mettre en place de nouveaux outils CRM, gages d’une plus grande proximité avec le client et donc de ventes accrues. Dans le cas contraire ils auront tôt fait d’y voir de nouveaux instruments de contrôle des fichiers clients. « Le principe de la franchise est la duplication d’un succès. Si vous changez un ingrédient, vous entrez dans une zone de risque », révèle Laurent Poisson chez Participe Futur. La résistance au changement dicte une grande prudence aux franchiseurs qui doivent accomplir un travail pédagogique de premier plan – avec des tests et pilotes pour appuyer la démonstration -, et parfois faire des concessions. « Nous avons changé le concept avec les franchisés, engagé à faire des travaux, et parfois à se déplacer pour occuper de meilleurs espaces, en échange d’une marge supérieure », illustre Jérôme Fourest, Directeur général de la Comtesse du Barry. L’essentiel est de ne pas en laisser sur le bord de la route. « Si le franchiseur se rend compte que la montée en gamme va bénéficier à 95% des franchisés, il lui faut répondre individuellement aux 5% restant en leur trouvant des alternatives. Il n’y a rien de pire qu’un investissement demandé au franchisé sans effet positif sur sa rentabilité », énonce d’expérience Christine Molin. Cas plus rare, l’évolution est parfois trop importante, ce qui oblige à une diversification, avec une autre enseigne et d’autres profils de franchisés (cf. Grand Angle). Les remontées terrains sont importantes pour faire les bons choix. « Les comités d’enseignes, qui donnent un avis consultatif chez EMOVA GROUP, ont joué un rôle pour le lancement d’autres enseignes que Monceau Fleurs », rappelle à ce titre Fabienne Hervé. La mue est donc chronophage, coûteuse et délicate parce qu’elle induit une double adhésion : premièrement celle du marché. Il faut que le potentiel de consommateurs prêts à payer le sur-prix associé à l’évolution de l’offre soit suffisamment large pour assurer la rentabilité des investissements consentis. Deuxièmement celle des franchisés, qui n’ont pas toujours le profil adéquat. « Quand on « premiumise » dans la restauration par exemple, en privilégiant des produits frais, on s’éloigne du financier. Cela devient une affaire de passionnés qui savent cuisiner. Ceux qui viennent de la restauration à la base ont plus de chance d’adhérer que ceux qui sont pharmaciens ou libraires d’origine », nuance Bernard Boutboul.

Sorties de route

Les ratés de la montée en gamme

« En ce moment tout le monde a envie, mais n’en a pas forcément les moyens. Certaines enseignes sont parties d’un positionnement trop bas ; celles à mi-chemin pourront passer le pas. Il ne suffit pas de le décréter », affirme Bernard Boutboul, créateur et directeur général du cabinet Gira Conseil. Ne plus du tout renvoyer la même image passe par un changement de mentalité. Selon ce spécialiste de la consommation alimentaire hors domicile, les transformations à réaliser sont pléthoriques et profondes : « elles passent par une évolution du sourcing produit, de la carte, du personnel en salle et en cuisine, du type d’emplacement, du pricing… » L’erreur célèbre d’Hippopotamus est devenue un cas d’école dans les écoles de commerce, car les effets d’annonce ont primé sur la mutation profonde et le consommateur l’a remarqué. « Il ne faut pas plaisanter avec la « premiumisation », soit on la fait soit on ne la fait pas », ajoute l’expert, qui estime la métamorphose à 8-12 mois et beaucoup d’énergie dépensée. La Halle, historiquement engagée sur du discount de périphérie, a brouillé son image avec son « virage mode ». Elle perdu les clients historiques et n’a pas conquis tout de suite les nouveaux. Le chausseur Bata a raté sa montée en gamme, car il ne l’a pas assez accompagnée d’investissements, et a raté le virage Internet. La « premiumisation » s’active à tous niveaux selon Christophe Bellet chez Gagner en Franchise : « on ne pratique pas de l’homéopathie sur un élément, mais sur tous : mix marketing, concept architectural, message véhiculé par les équipes… » Cette montée en gamme se prépare, et répond à un besoin de la clientèle existante, sans que le franchiseur se fasse juste plaisir en termes d’image. « Elle a moins de chance de réussir si elle se réalise en réaction au marché, et n’est pas 100% cohérente », remarque Christine Molin, présidente de CMC. Un impact positif significatif doit être prévu pour les franchisés. « Dans ce cas il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas. Sauf si l’orientation voulue n’est pas en adéquation avec les typologies d’emplacement. Dans ce cas précis, on demande aux franchisés l’irréalisable », ajoute l’experte. La gentrification des quartiers populaires fait débat dans les villes, les opposants craignant que cette montée en gamme ne soit pas pensée pour tout le monde. Ce sont les mêmes angoissent qui habitent les réseaux en mutation. « Le principal piège est de sous-estimer l’importance de la démonstration. Généralement le franchiseur a réfléchi depuis des mois, convaincu d’être dans le vrai. Et il sous-estime le travail de conviction. L’adhésion de ces entrepreneurs est essentielle », rappelle Laurent Poisson, président du cabinet Participe Futur.

Julien Tarby

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