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Portés par la reprise du marché de l’immobilier et les perspectives offertes par les nouvelles technologies, de nouveaux réseaux de franchises cherchent à se faire une place en bousculant les pratiques d’un secteur en cours de digitalisation. En proposant de nouveaux services ou de nouveaux modes d’organisation, ces enseignes font ainsi souffler un vent nouveau.
Avec près d’un million de logements vendus en France en 2017, selon la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), le marché de l’immobilier reprend des couleurs. « Au niveau national, les voyants sont au vert avec une hausse de l’offre (+ 2,2 %), une hausse du volume de transactions (+ 4 %), entraînant une hausse de + 2,2 % des prix moyens de vente » indique le réseau ERA dans son dernier observatoire du marché de l’immobilier ancien. « Le délai de vente est même passé de 91 jours en 2016, à 89 jours en 2017 (soit deux jours en moins) ». Sur ce marché de nouveau dynamique, après avoir subi les conséquences de la crise en 2008, 59 réseaux de franchise, de toutes tailles, employaient 3 683 franchisés en 2018, soit 5 % du total de franchisés, selon les données de la Fédération Française de la Franchise (FFF). Ces acteurs cumulent un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros (soit 2,53 % du CA des franchisés qui s’élèvent à 59,5 milliards d’euros en 2017), en hausse de 11 % par rapport à 2016. « Tous les réseaux profitent du dynamisme d’un marché porté par de faibles taux d’intérêt » constate Christine Fumagalli, présidente du réseau coopératif Orpi. « Si les grandes agglomérations connaissent une tendance à la hausse des prix, le marché peut évoluer. Il faut donc rester vigilant » avertit-elle.
Concentration et mutualisation des acteurs
Malgré les fluctuations du marché de l’immobilier, les franchises du secteur évoluaient dans un environnement jusqu’à présent plutôt stable. « Le secteur immobilier compte beaucoup d’agences très puissantes et bien implantées. Ces réseaux se renouvellent, mais le secteur connaît peu de créations » analyse Laurent Delafontaine, co-fondateur et dirigeant du cabinet de conseil Axe Réseaux. « Les agences traditionnelles restent sur le même modèle. Elles ont quelque peu évolué avec l’arrivée des mandataires immobiliers rattachés aux agences, mais sans transformer leurs pratiques » ajoute Franck Berthouloux, consultant chez TGS et membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise (FFF). C’est l’arrivée d’internet qui a commencé à changer la donne. « De nouveaux acteurs ont débarqué, à l’instar de sites comme Se Loger ou Le Bon Coin. Ils ont pris des places de leader et sont rapidement devenus incontournables » rappelle Laurent Delafontaine. « Face à cette nouvelle donne, les acteurs historiques de la franchise immobilière se sont regroupés pour proposer une offre commune en ligne, seule opportunité de rattraper leur retard sur la toile ». Autre phénomène constaté, le rachat en 2015 d’Avis Immobilier, un réseau né en 1957, par Solvimo pour créer une enseigne commune, Nestenn, a également marqué le secteur. «Ce phénomène de concentration permet de renforcer une marque par la mutualisation. Cela participe et témoigne, selon moi, d’une tendance à la professionnalisation de l’écosystème » estime Rose-Marie Moins, responsable animation et promotion de la Fédération Française de la Franchise (FFF).
Géolocalisation et IA s’immiscent dans les réseaux
Reste que la principale bataille se déroule désormais sur le terrain des nouvelles technologies. C’est par leur intermédiaire que les acteurs repensent leur activité et se renouvellent. Visite virtuelle, biens géolocalisés, cartographie 3D, ou encore estimation en ligne et service de chat en direct font désormais partie des services standards proposés par les réseaux de franchise du secteur. À l’affût des dernières innovations, les acteurs se livrent à une course à l’intégration de ces nouvelles technologies pour optimiser et enrichir le parcours de leurs clients. Certains d’entre vont jusqu’à prédire l’adoption prochaine de solutions d’intelligence artificielle pour mieux capter et décrypter les émotions des futurs acheteurs et améliorer le service rendu. C’est en effet la vocation de ces nouveaux outils. « Le succès d’un réseau s’appuie de plus en plus sur le niveau des prestations et des services offerts » assure Rose-Marie Moins. « Les nouvelles technologies viennent nourrir cette approche et ce positionnement ». D’autant que l’on constate une tendance au retour du point de rencontre physique. « Après l’émergence des réseaux de mandataires où tout se passait en ligne, on revient à une forme de proximité » remarque Christine Fumagalli. « Il existe un réel besoin d’une relation de confiance car les clients s’engagent dans un projet de vie. Alors que le secteur connaît beaucoup d’innovations, les échanges avec un professionnel et l’analyse du projet redeviennent un fondamental du secteur. L’enjeu est ainsi de parvenir à coupler la proximité avec des solutions technologiques facilitant le parcours clients. Ces dernières ne remplacent pas la visite réelle et les conseils d’un expert, mais ajoutent une dimension à l’offre ».
Cette tendance au renforcement du conseil se déploie également avec l’appui de nouveaux intervenants sur le marché de l’immobilier. « La multiplication des contraintes réglementaires a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs du diagnostic et de la certification » témoigne Laurent Delafontaine. Les services de ces nouveaux experts sont proposées aux clients par les franchises. Avec les réseaux de courtage en travaux et les spécialistes du crédit immobilier, ils se développent et intègrent eux aussi des nouvelles technologies pour se rapprocher des besoins des clients et apporter des conseils supplémentaires. « On assiste ainsi à une forme professionnalisation qui fait émerger de nouveaux acteurs aux côtés des agents immobiliers traditionnels. C’est tout un écosystème qui est en train de se créer » constate Rose-Marie Moins. La percée du home staging, qui consiste a relooké un bien pour mieux le revendre, illustre ce phénomène. La pratique, popularisée par l’émission télévisée de Stéphane Plaza, est adoptée par les acteurs sous la forme de services proposées en partenariat avec des courtiers en travaux. « On voit bien là la volonté de développer une nouvelle image, plus qualitative, de faciliter le parcours client, tout en répondant à un besoin non satisfait » poursuit la responsable de la FFF. S’il reste encore du chemin à faire en matière de digitalisation du secteur, selon Franck Berthouloux, « l’enjeu reste d’obtenir des mandats exclusifs, le nerf de la guerre dans le secteur immobilier. Les nouveaux services et les outils technologiques servent cet objectif ».
Empathie et bienveillance, les nouveaux réseaux « customer centric
Les nouveaux entrants sur le marché l’ont bien compris. Ces nouveaux acteurs de la franchise immobilière s’emparent des tendances de fond à l’œuvre et viennent concurrencer les acteurs traditionnels. « Le succès de l’enseigne Stéphane Plaza Immobilier illustre ce renouvellement, en rappelant qu’il reste indispensable d’avoir les reins solides pour se faire une place » souligne le consultant chez TGS. Le réseau de franchise, lancé avec des moyens financiers conséquents, a fait sienne les nouvelles aspirations de la clientèle du secteur immobilier. Née en 2015, la marque met en avant ses services, et notamment le home staging, et mise sur un service « bienveillant ». «L’idée, c’est de replacer l’humain au centre du projet » insiste Fabrice Joly, directeur de trois agences Stéphane Plaza Immobilier en Bretagne. « C’est une méthode de travail qui prône la bienveillance. Cela se traduit par une réelle phase de découverte et d’échanges par le biais de longs entretiens. Les agences sont également organisées comme des appartements ou des salons pour mettre à l’aise et faciliter la discussion ». Le réseau, qui dispose d’une importante force de frappe grâce à la notoriété de son fondateur, met par ailleurs un panel d’outils à la disposition de ses franchisés, du home staging jusqu’au chiffrage des travaux, en passant par les visites virtuelles ou le recours à des photographes professionnels. Autre point fort du réseau de 350 agences : la formation. « À côté des formations métier, les modules internes mettent l’accent sur le savoir être » explique l’ancien indépendant qui a rejoint Stéphane Plaza Immobilier en 2015. « Avec des approches originales, comme du coaching dans un théâtre, l’objectif est de s’approprier les valeurs et l’ADN de la marque axée sur l’empathie et le service ».
Autre acteur émergent qui bouscule le milieu de la franchise immobilière, la jeune société Keymex va plus loin dans l’intégration des nouvelles tendances avec la création d’un nouveau mode d’organisation pour le secteur. Convaincu que le modèle du réseau de franchisés à la tête d’agences locales est à bout de souffle, Frédéric Simon, le fondateur de Keymex, à imaginer un nouveau modèle de structuration autour d’entités régionales : « au lieu d’ouvrir des agences locales, il s’agit de créer des superstructures régionales. À leurs têtes, les franchisés développent un réseau de mandataires en s’appuyant sur un centre physique ». « C’est un modèle à la croisée des chemins entre tradition, avec des centres d’affaires physiques, et le réseau de mandataires, à qui l’enseigne fournit un point d’attache » commente Franck Berthouloux. Ainsi, sur une zone de 300 000 habitants, un franchisé anime un réseau d’une centaine de mandataires, en s’appuyant sur une équipe de trois salariés (un assistant comptable, un responsable du marketing et un animateur, référent métier) et un lieu physique regroupant trois pôles : un centre de transactions offrant des services notamment en matière juridique, mais aussi un centre de formation et un centre d’affaires permettant au mandataire de proposer des services (diagnostic, home staging, courtage de prêt ou de travaux, etc) à ses clients. Ce nouveau modèle a été testé pendant deux ans dans le Val d’Oise. La marque s’apprête désormais à ouvrir ses premières franchises début 2019. « Nous proposons une véritable stratégie qualitative avec une offre globale pour un prix conforme au marché » souligne le dirigeant qui va se lancer dans un tour de France pour expliquer son approche et séduire les candidats. Plusieurs étapes sont prévues, et notamment à Marseille le 20 juin, à Lille le 28 juin, mais aussi à Tours et Nantes, respectivement les 3 et 5 juillet et à Toulouse et Bordeaux les 10 et 12 juillet.
En conséquence de ces évolutions, les profils recherchés par les franchiseurs se complexifient. Si l’apport financier (de 50 000 à 70 000 euros en moyenne), la qualification professionnelle et la compétence commerciale restent des fondamentaux, de nouvelles aptitudes sont prônées. « On revient à des profils de franchisé empathique, capable de cerner et comprendre les besoins, mais aussi d’y répondre » note Rose-Marie Moins. Pour Laurent Delafontaine, si les réseaux sont attentifs à la qualité des franchisés en vue d’assurer la performance des agences, les franchisés aussi doivent rester vigilants. « Le réseau de franchise choisi doit avoir compris et intégré les évolutions du marché pour garantir sa pérennité, ce qui n’est toujours le cas des grands réseaux, plus difficiles à transformer ».
Elsa Bellanger