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Comme il ne peut pas les imposer, le franchiseur se doit de convaincre ses franchisés de suivre ses prix.
La politique de prix est pour tout réseau un enjeu évidemment sensible – et complexe. D’un côté, la loi est on ne peut plus claire sur le sujet : impossible pour une tête de réseau de forcer des prix de vente déterminés à ses franchisés. Il est possible, sous certaines circonstances, de fixer un prix maximum ; mais imposer un prix minimum est illégal en toute situation. Deux exceptions seulement : la première, pour la commission-affiliation (ce qui se justifie car le distributeur vend le stock de la tête de réseau et non le sien), et la deuxième pour le domaine du livre, dont le prix est fixé par l’éditeur. En théorie donc, le franchisé peut pratiquer la politique de prix qu’il veut. Mais le franchiseur, lui, a tout intérêt à ce qu’ils suivent la politique de prix qu’il préconise.
Rester cohérent
L’enjeu principal est tout simplement l’image du réseau. « De plus en plus, cette indépendance du franchisé est en contradiction avec le temps du consommateur », estime Sylvain Bartolomeu, associé chez Franchise Management. À l’heure d’Internet et des comparateurs de prix, il est aisé pour le consommateur de se rendre compte d’éventuelles différences, et il ne comprendrait pas des écarts importants alors qu’il se rend dans ce qui, pour lui, est la même enseigne. Les choses se compliquent encore quand le réseau s’est doté d’un site marchand – voire d’un système, très demandé par les consommateurs, de commande en ligne et retrait en magasin : imaginez sa tête s’il aperçoit en vitrine le même produit qu’il vient chercher, mais 10% moins cher… « Le BtoB, en l’occurrence, présente un avantage ; les prix arrivent en général en fin du processus de vente, et ils sont, en quelque sorte, cachés – ils n’apparaissent pas, par exemple, sur le site, ce qui évite pour notre réseau ce problème », explique Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur du réseau 1m30.
Il ne faut cependant pas confondre cohérence et intransigeance. Si, pour certains secteurs d’activité (notamment la grande distribution) le prix est un élément central à la stratégie et à l’image du réseau, d’autres peuvent se permettre un peu plus de liberté. « Pour le chocolat, par exemple, le prix n’est pas le critère décisif, explique Gilles Gommendy, directeur général des Chocolats de Neuville. Une différence de 10 centimes ne jouera pas sur l’achat. » Et – là encore pour certains secteurs d’activité – des ajustements de prix peuvent être souhaitables, voire nécessaires, selon les circonstances et la localisation – on ne pratique pas les mêmes prix à Paris qu’en Province ! « Par exemple, en cas d’installation d’un point de vente dans une zone très touristique, la question mérite réflexion », estime Sylvain Bartolomeu. Ou alors, dans le cadre d’une promotion exceptionnelle, à l’ouverture ou pour relancer un magasin un peu à la peine…
Rôle de conseil
Toute la difficulté du sujet tient dans cet équilibre à atteindre entre souplesse et préconisation. « Je n’impose rien, mais je suggère, explique Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur du réseau 1m30. Pour des questions de cohérence, mais aussi pour les supports de communication. Sinon, les plaquettes listant les packs et les prix varient trop… » La question des supports de communication est en effet plus délicate qu’il n’y paraît au premier abord. Il est de la responsabilité du franchiseur que de s’occuper d’une bonne partie de la communication – si ce n’est la totalité – et, entre autres, de fournir des supports appropriés (il est possible, en pratique, de laisser la case prix vide dans les documents proposés, afin qu’ils puissent eux-mêmes le remplir).
La loi étant ce qu’elle est, il n’existe pas de moyen – du moins légal – de contraindre un franchisé à vendre au prix déterminé par la tête de réseau. « Le contrat et ses annexes peuvent inclure des lignes directrices concernant la politique de prix de l’enseigne, par exemple en évoquant des prix de vente recommandés sous certaines conditions », explique Rozenn Perrigot, chercheuse, enseignante et expert en franchise à l’IGR-IAE Rennes – Université de Rennes 1. Certains franchiseurs trouvent des façons indirectes d’imposer les prix de vente à leurs franchisés, mais le meilleur moyen reste… de convaincre le franchisé du bien-fondé de la politique de prix de l’enseigne.
Impliquer les franchisés
« Nous n’avons pas de contrôle effectif, explique Gilles Gommendy. Les animateurs en discutent, mais ne contrôlent pas. En pratique, on s’assure que le franchisé connaisse son prix de vente sur sa zone de chalandise, en fonction de sa clientèle et de son cycle d’exploitation avec les charges – qui sont d’ailleurs naturellement liés au flux de clientèle », remarque Gilles Gommendy. L’idée, en fait, est d’aider le franchisé dans ses calculs – notamment sur la marge -, et à le conseiller pour ne pas se détacher trop à la hausse – ce qui peut avoir pour effet de faire fuir la clientèle – où à la baisse – ce qui peut mettre en péril le point de vente lui-même. Une des forces d’un réseau est la mutualisation des expériences, et c’est un argument qui peut peser lourd dans la balance – surtout si les franchisés ont accès à des données sur la performance de leur pairs. De façon similaire, organiser une commission prix annuelle pour déterminer cette politique implique les franchisés dans la décision, ce qui leur permet également de mieux la comprendre.
Une autre pratique couramment adoptée dans bon nombre de secteurs d’activité est de « fixer » un prix sur quelques articles-clés, et de laisser libre cours au franchisé sur ses propres spécificités. Par exemple, pour un chocolatier, « pour tous les produits phares, comparables entre magasins, les franchisés sont naturellement enclins à respecter la norme, explique Gilles Gommendy. Mais il y a aussi des assortiments, par exemple, qui restent spécifiques à chaque emplacement, et permettent du coup une certaine liberté. »
Jean-Marie Benoist