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Rester raisonnable
Si le franchisé est en théorie libre de fixer ses prix, suivre la politique de prix du réseau est souvent la meilleure solution.
L’un des principes structurant de la franchise est qu’un franchisé reste un entrepreneur indépendant. Beaucoup des avantages du système émanent de cette dualité, comme beaucoup de ses points délicats – et la question des prix fait définitivement partie de la seconde catégorie pour la majorité des réseaux. En tant qu’indépendant, un franchisé est donc en théorie capable de pratiquer la politique de prix qu’il veut. La réalité, cependant, est plus complexe, et la liberté de fixer ses prix, relative. « Selon le droit communautaire et le droit français, les franchiseurs peuvent recommander des prix de vente à leurs franchisés, voire leur imposer des prix de vente maximum à ne pas dépasser, explique Rozenn Perrigot, chercheuse, enseignante et expert en franchise à l’IGR-IAE Rennes – Université de Rennes 1. En revanche, les franchiseurs ne peuvent pas imposer à leurs franchisés des prix fixes ou minimum. » La plupart des réseaux ne se privent pas d’émettre ainsi des préconisations. Il arrive aussi malheureusement que certains aillent un peu trop loin, et trouvent des façons indirectes d’imposer de facto un prix de vente : parmi les techniques les plus utilisées, le pré-étiquetage des prix sur les produits livrés aux franchisés, le pré-enregistrement des prix dans les caisses enregistreuses des franchisés, ou encore l’indication des prix sur les bons de commande ou sur les publicités à destination de la clientèle.
Un facteur-clé
Si les réseaux sont prêts à aller aussi loin, c’est que le prix est un enjeu sensible, qui joue sur l’image même de la marque. Il faut dire qu’aujourd’hui, avec un consommateur mobile et informé, la question des prix et leur uniformité est plus cruciale encore qu’auparavant. « Avec le recul, je m’aperçois que plus on se cale au prix national, mieux c’est, estime Eric Perrin, franchisé Babychou à Rennes. Car le consommateur est mobile, et cela rend des divergences trop importantes impossibles. » C’est une question de cohérence : des écarts de prix trop important désorienteraient un client qui, de son point de vue, fréquente la même enseigne, et s’attend donc à un niveau de service et de prestation similaire. La situation se complique encore si le réseau se dote d’un site marchand, un service demandé par l’immense majorité des consommateurs.
Cependant, si, pour certains types d’activité, l’uniformité est désirable – on peut par exemple penser à la Fnac, ou Darty -, pour d’autres, elle peut être contre-productive. « On ne pratique pas les mêmes prix à Paris qu’en Province, ni à Casablanca », souligne Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur du réseau 1m30. Il peut aussi être intéressant, par exemple, de faire une forte promotion sur plusieurs mois à l’ouverture du magasin, ou pour consolider sa position sur son marché local. Mais il faut faire attention. Car si le franchiseur ne contrôle pas les prix (du moins directement), la Répression des Fraudes veille au grain. Par exemple, si un produit se trouve être pendant toute l’année être à -50%, le prix réduit est, aux yeux de la Répression des Fraudes, le vrai prix. Il est donc important de savoir expliquer les tarifs que l’on pratique.
Déterminer un prix n’est pas simple
De façon générale, une politique de prix ne devrait de toute façon jamais être décidée à la légère ou sur une impulsion. Un prix de vente ne sort pas de nulle part. « Pour résumer, les prix sont étroitement liés aux taux de marge nécessaire au développement du franchisé, explique Eric Perrin. Et le fait d’appartenir à un réseau permet d’affiner le prix, en fonction de la concurrence, du smic (qui joue sur la masse salariale), mais aussi du stockage, des bureaux, du prix d’achat… » Il faut tenir compte de tous ces éléments pour arriver à un prix cohérent, et beaucoup d’entre eux sont uniformes au niveau national. Il faut bien avoir conscience également de l’effet d’un prix sur le consommateur et sur l’entreprise. S’ils sont trop bas, cela risque d’entraîner une perte de qualité, par exemple avec une diminution, faute de moyen, de l’équipe de vente… Il ne faut pas négliger non plus les questions de positionnement de la marque : par exemple, si elle se définit comme low-cost, les prix devront être inférieurs à ceux du marché local, et si elle se définit comme premium, ils devront être dans la tranche haute.
Toutes ces réflexions ne sont pas évidentes à mener pour un franchisé, surtout s’il débute tout juste sa carrière d’entrepreneur. Mais c’est justement l’un des avantages d’être dans un réseau : la mutualisation des expériences, c’est aussi profiter des expériences des autres. Et en matière de prix, de calcul de marge, de développement d’enseigne – pour ne citer que ces sujets -, un réseau dispose, par nature, de beaucoup plus de données que les franchisés. Il peut donc apporter une vision plus informée que celle du franchisé seul, qu’il traduit dans sa politique de prix. La suivre assure théoriquement au franchisé de pouvoir continuer à développer son activité.
Et en pratique…
Si le tableau brossé ci-dessus peut paraître un peu pessimiste, la situation n’est pas inextricable pour autant. De fait, il existe dans un certain nombre de réseaux une grande liberté. Par exemple, dans le commerce de bouche, en-dehors de quelques articles-phares, les franchisés sont libres de proposer des assortiments ou arrangements qui lui sont propres – et qu’il peut du coup tarifer comme il l’entend. Et si l’on envisage un changement plus drastique que les quelques pourcents de variations qui sont communément préconisés, le mieux est encore d’en discuter avec son animateur. À plus long terme, participer à la commission prix de son réseau (s’il en a une) n’est jamais une mauvaise idée. « Dans le cadre de la commission prix, nous nous réunissons à 5 ou 6 franchisés avec la tête de réseau, une fois par an, pour déterminer la politique de prix de l’année », explique Eric Perrin. Cela permet à la fois de faire connaître ses idées, et de mieux comprendre les enjeux de la marque derrière la question du prix.
Jean-Marie Benoist