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Voici le récit prenant, vivant, étonnant, de ces journées incertaines d’une épidémie trébuchante. Le quotidien de maîtres et maîtresses qui ne veulent rien lâcher. À l’heure où les JT multiplient les reportages côté élèves connectés, il était temps d’écrire l’histoire du côté des cours désertées…

L’heure d’avant

Ce jeudi 12 mars, 19 h 46, après un conseil des maîtres et un conseil d’école déployés à la file, derniers parents d’élèves partis, l’équipe enseignante d’une petite école primaire rurale débriefe ! Ouf… Enfin… Depuis 8 h 20 ce matin, et à presque 20 heures, ils/elles en ont fait le tour, tour du cadran et tour de la Covid-19 (nom de la maladie générée par le SARS-CoV2).

Finalement assez tranquilles, comme de bons petits soldats de la République, souvent fin/es, perspicaces et malin/es, parfois soumis/es ! Ils/elles ne savent pourtant pas encore qu’ils sont loin, mais alors très loin, d’avoir épuisé l’épuisante question du spectre du Corona virus.

Les avis sont partagés sur les mesures de prévention à prendre : « De toute façon, on n’a que deux lavabos, [véridique !] et pas de torchon. » Enfin « pas assez », « un torchon détrempé au bout de cinq gamins », « pas de gel », et… finalement, même pas peur ! Les seuls masques, ici, ce sont ceux du prochain défilé de Carnaval. Même, si, au fond, ils/elles sont navré/es, et, même, si, au fond, ils/elles ont tout de même rapporté de chez eux des savonnettes toutes neuves… pour les mômes. Même si, finalement, ils/elles font hyperattention, avec les moyens du bord. Enfin, ça tombe bien, notre président va parler dans quelques minutes. Chacun se sépare pour rentrer, vite, se poser devant le petit écran.

Les derniers commentaires fusent. Je comprends qu’ils/elles ne pensent même pas à la fermeture des écoles. Ils sont même sûrs du contraire. Droits dans leurs bottes. Jean-Mi (Blanquer) l’aurait encore dit la veille : on ne fermera pas les écoles. Mais ça, c’était avant.

L’annonce

« Dès lundi et jusqu’à nouvel ordre, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités seront fermés. Fermés pour une raison simple : nos enfants et nos plus jeunes, selon les scientifiques, sont celles et ceux qui propagent, semble-t-il, le plus rapidement le virus. » Voici l’annonce faite à Marie, Pierre, Paul et Manon, Ethan et Lilou, Abdel et Nassim, à tous les petits Français/es, par Emmanuel Macron le soir du 12 mars. À quelque douze millions d’élèves français. À la France entière et donc aux enseignants pour lesquel/les, dès lors, tous les signaux d’alerte sont au rouge.

Nous sommes jeudi soir et dans quelques heures, dès demain vendredi 13 mars, à 16 h 30, les petits quitteront l’école jusqu’à nouvel ordre. Mais pas les cartables vides.

Le compte à rebours est commencé et les enseignant/es, chez eux/elles, se ruent littéralement sur leur matériel informatique didactique et pédagogique personnel pour commencer à concevoir et mettre en ordre une stratégie de survie pédagogique à destination de leurs élèves. Certains avouent y avoir passé la nuit. Afin que, le lendemain matin, un stock minimal de ressources soit constitué en termes d’idées de progression et de supports alternatifs à la pédagogie de classe. Et que l’enseignant puisse se consacrer ce dernier jour de classe… à sa classe.

Dernier jour de classe : vendredi 13 mars 2020

Les polycopiés tournent à plein régime dans toutes les salles des maîtres et maîtresses de France, dès l’ouverture des portes. De petits recueils, cousus mains, en quelque sorte, sont prêts à être distribués aux enfants et aux familles, dès la sortie des classes. Chacun gonfle sa bouée, une par élève ! Les enseignant/es savent que cette interruption sera lourde de conséquences, en plein milieu d’année scolaire. Elle risque d’interrompre élan et progression à un moment très critique : si les bases et la dynamique de classe sont bel et bien lancés en ce moment de l’année scolaire… on est loin d’avoir atteint l’autre rive (celle qui mène à la classe suivante). Le travail engagé est titanesque en si peu de temps, et, pour un peu, dans les écoles on se croirait à bord du Titanic, un Titanic que l’on va sauver cette fois et où chacune et chacun des petits bouts de chou trouvera place sécurisée, place adéquate, préparée par son enseignant sur la chaloupe de survie pédagogique qu’il/elle destine à sa classe, avec passion ou presque.

Des modes d’emploi pour accompagner ce matériel de survie sont rédigés par les enseignant/es à destination des familles. Toute la journée de ce vendredi 13 mars 2020, date fatidique, les profs échangeront entre eux des idées (belles) et des plans (bons) pour transmettre des contenus utiles aux familles et aux enfants.

On ne sait pas alors, encore, que les parents, eux aussi, seront rapidement confinés, en majorité : on imagine donc, encore, logiquement, dans les jours suivants, pouvoir distribuer, via les parents et depuis les écoles, des munitions scolaires complémentaires, au fur et à mesure, au fil des jours, temps que l’on n’aura pas au final. Pour autant, bien des enseignant/es ont prévu un véritable stock de survie (révisions, pour faire la transition durant les quelques premiers jours, le temps nécessaire pour que les enfants installent l’idée que, maintenant, l’école, c’est à la maison, puis, ensuite, une progression de deux ou trois semaines, non plus en mode soft mais en mode avancée pédagogique, avec l’introduction de notions nouvelles et d’exercices d’application appropriés).

L’ambiance ce dernier vendredi dans l’école, c’est comme avant l’orage. Les directrices quittent en début d’après-midi les écoles et les équipes : elles sont convoquées dans les inspections départementales pour des réunions d’information ultimes, à une heure de la fin des cours. Elles rentrent, fidèles au poste, et au plus vite participer à cette étrange échéance.

Faire

Sur le terrain, on sait que l’on sera lundi sur le tas pour assurer la continuité pédagogique, fil rouge tissé par la rectrice, pour tenir, encore un peu, les rênes d’apprentissages que l’on sait ballantes. Dans les écoles, il est 15 heures maintenant et tout est électrique. L’effervescence est permanente. Les échanges entre collègues se montrent presque militaires : on est en mode challenge sinon en mode urgence. « Moi, j’ai fait ça », dit une enseignante qui une progression en forme de graphisme. Une autre prend la fiche tendue pour l’ajouter à son propre bouquet de propositions et d’idées. Et, aussitôt, elle renvoie la balle avec, en échange, « le petit mot d’encouragement » qu’elle a rédigé à destination des parents, à qui elle passe de fait le relais. On échange. On fabrique tout ce qui ne sera pas numérisable après l’arrêt des cours physiques, sachant que nombre de familles ne disposent que de peu d’environnement numérique. On fait. Sans reprendre souffle. On fait. On fait tout ce que l’on peut faire dans cette brève histoire d’un temps qui va se suspendre, en imaginant ce qu’on pourrait faire l’instant d’après. On fait.

« Faire » aide aussi à ne pas trop penser, à ne pas trop stresser ou angoisser par rapport à ce qu’il faut bien reconnaître comme une réalité : l’école fait face à l’épidémie de coronavirus. On en est là. L’école protectrice implicite de tous les enfants de France fait alors tout ce qu’elle peut sur le terrain pour assurer sa mission, virus ou pas.

Le jour d’après : lundi 16 mars 2020

L’école est fermée. Pas un enfant. Ou presque. Seuls quelques fils/filles de soignants sont venus à l’école laisser leurs parents sauver la vie des autres les mains libres : ils/elles sont stupéfait/es, comme s’ils/elle étaient les seul/es survivant/es enfantin/es dans une école totalement livrée aux adultes. Les salles des profs sont pleines. Après un rapide café, voire un croissant partagé avec une impression d’étrangeté, tous les profs (sauf ceux/celles qui n’ont pu faire garder leurs propres enfants). Et chacun/e tente de s’atteler à la transmission des savoirs et des contenus à sa manière. Enora, enseignante de CM1, fonctionnait déjà de manière interactive avec ses élèves et leurs parents au moyen d’un blog de classe… Alors la mise en continuité de sa pédagogie, elle l’envisage plutôt sereinement puisqu’elle l’avait déjà instaurée au quotidien. Les enfants tout comme les parents sont habitués à aller sur le blog de la classe trouver leur pain quotidien en dehors des heures d’ouverture. L’intérêt, du coup, passe en mode accéléré, en mode vital. Le travail de ce lundi 16 mars 2020, premier jour de fermeture des établissements scolaires en France, est d’ores et déjà disponible sur le blog. Enora ajoute des conseils d’emploi, décrits quelques finalités qui pourraient échapper aux parents, et, chaque jour, elle fera ainsi, elle enverra la suite. Enora a déjà fondé l’axe de ses exigences de la semaine sur des révisions, des processus connus et éprouvés, en quelque sorte des révisions. Ce palier, elle l’estime nécessaire afin que chaque enfant ou chaque dyade parent-enfant s’approprie, cette fois sur un temps long, différent d’un temps de consultation bref et partiel, ce mode maintenant unique de fonctionnement scolaire. Le blog de la classe avant, c’était un « plus », un ajout, un complément, un supplément d’âme pédagogique. Maintenant, le blog de la classe c’est le « plat de résistance »… on ne peut pas mieux dire ! Enora pense qu’il faut à ses quelque 25 élèves (75 interlocuteurs probables si l’on intègre les parents) une petite semaine pour roder les nouvelles routines de part et d’autre. C’est un choc aussi pour les enseignant/es de se trouver à distance de leurs élèves, brutalement, pour raisons sanitaires graves. La semaine prochaine, Enora monte en puissance sur le blog… et ses élèves aussi. Les apprentissages nouveaux feront leur apparition en ligne. Des notions nouvelles entreront en scène. Avec certitude et assurance des deux côtés de l’échange. Avec un rendez-vous vidéo et des liens vidéo avec d’autres supports en cohérence avec le contenu des leçons nouvelles.

Enora, ouverte et généreuse, propose à sa voisine de classe, une jeune enseignante, Lucie, fraîchement nommée dans le CE1 qui jouxte sa propre classe, de la faire bénéficier de son blog, de l’héberger en quelque sorte. Lucie accepte l’offre sympathique. Elle va devoir se former rapidement, instaurer des routines, habitudes et relations avec ses futurs destinataires. Quoi qu’il en soit du chemin à parcourir par Lucie, les deux enseignantes posteront des vidéos quotidiennes à leurs élèves. Un lien vivant qui apportera enthousiasme, nouvelles notions, nouvelles leçons. Pour avancer. Avec des liens vers d’autres sites pédagogiques. D’autres interactions virtuelles.

De manière générale, tous les enfants sont partis vendredi 13 mars avec l’adresse mail académique de leur enseignant. Le courriel professionnel. Avec la demande faite aux parents de poster un mail à cette adresse. La réponse des parents à cette invitation constitue un accord à entrer en communication.

Dès lors, les cours seront postés par les enseignant/es sur le mail des parents et les exercices réalisés seront en retour postés sur le mail des enseignants. Qui retournera un avis ou une proposition d’ajustement.

Les relais des jours d’après : tableaux vides écrans pleins

Durant la première semaine de travail à distance les nouvelles méthodes de travail s’imaginent, se créent et s’installent. Les relais sont utilisés par les enseignant/es qui s’emparent et les proposent à leurs élèves.

Il peut s’agir des animations pédagogiques proposées par le réseau Canope qui propose des thématiques fondamentales ou disciplinaires, dans la mesure où les demandes d’accès ne sont pas surchargées. Des mesures seront dans ce cas mises en place et des ajustements de régulations autoriseront des modes de fonctionnement alternatifs en fonction de la situation de crise.
Les familles et les enseignant/es les plus rodé/es au fonctionnement lié au confinement seront ceux/celles qui, familier/ères de la pratique antérieure de l’application Classroom google.com pourront de manière tout à fait naturelle poursuivre en terrain connu la progression proposée cette fois-ci de manière plus large par l’enseignant/e de la classe. Classroom aide les élèves et les enseignants à organiser les devoirs, à renforcer la collaboration et à améliorer la communication. Actuellement, cette application est utilisée pour transmettre les cours des enseignant/es pour autant que la connexion soit possible en fonction de la multiplication du nombre d’utilisateurs.

L’Éducation nationale, en parallèle avec les actions mises en place par les enseignants à destination de familles et des élèves, met en place des actions de formation à distance pour les enseignants. Les académies livrent des pages d’accompagnement des ressources et des outils. En plus des initiatives de terrain créatives, les directives de l’administration arrivent pour soutenir et organiser la dynamique. Si les tableaux sont vides, les écrans sont pleins.

Les préconisations poussent les enseignant/es et les élèves à se connecter sur la plate-forme du Cned, avec pour le primaire Ma classe à la maison.

Les enseignant/es de classe ouvrent en nombre des blogs de classe.
On échange les bonnes adresses… Matheros, le super héros du calcul mental pour les matheux en herbe, Lalilo pour progresser en lecture, pour aider, à la base, les professeur/es à différencier l’enseignement de la lecture en classe et aider chaque élève à apprendre à lire à son rythme. Lalilo a également mis en ligne des contenus mathématiques pour répondre de manière plus large aux besoins de toute cette nation d’enfants scolarisés à la maison. Pendant la fermeture des écoles, les enseignant/es partagent l’application avec les parents : #coronavirusfr #gratuit #ContinuitePedagogique pic.twitter.com/sRPhEP4…

30 000 enfants de soignant/es accueillis par des enseignants volontaires.

Les circonscriptions de l’Éducation nationale ont organisé des accueils scolaires dédiés aux seuls enfants de soignant/es. Ils/elles sont accueilli/es en classe (regroupé/es par classe de dix élèves) dans quelques écoles. Les enseignant/es sont tous volontaires pour assurer ce service. Les questions de prévention des risques restent en évolution, compte tenu du manque de masque, seules les préconisations d’hygiène et de distanciation sociale sont respectées. Plus simplement, puisque le nombre de dix élèves l’autorise dans l’espace d’une classe. Mais la question du port du masque reste inscrite, certains enfants de soignant/es arrivent d’ailleurs en classe avec un masque, d’autres non.

Ainsi s’organisent les hussard/es de la République.

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