Temps de lecture estimé : 7 minutes
50 nuances de commerce organisé
Le choix de la nature de son réseau est crucial pour son développement. Coopérative, franchise, commission-affiliation… Suivez le guide.
’expression « commerce organisé » recouvre une grande variété de dispositifs. On peut distinguer trois catégories principales : les intégrées (par exemple la succursale), les associées (coopératives, groupements…) à caractère horizontal, et les réseaux d’indépendants (la franchise et ses dérivés, la licence de marque…). Et si l’on veut créer son entreprise, le choix du modèle n’est pas anodin – d’autant qu’il est difficile de le faire évoluer. Certains se disent parfois qu’ils vont commencer léger – par exemple avec une licence de marque -, et s’ils réussissent, ils passeront à un modèle plus ambitieux, comme la franchise. Ce n’est souvent pas une bonne idée. Dans un réseau, tout changement de contrat prend du temps – en moyenne, deux à trois ans de discussion… Et rien ne garantit que tout le monde va accepter : le risque de se retrouver avec réseau disparate est loin d’être nul. Il faut, dès le départ, bien construire son modèle, et encadrer les risques.
Quand on crée un réseau, il faut se poser deux questions fondamentales : comment envisage-t-on la question de la transmission du concept, et comment veux-t-on construire son projet. Si l’on ne veut pas transmettre son idée, le développement en interne reste le plus sûr – mais cela demande des moyens importants, et prend du temps. Mais plusieurs réseaux ont commencé ainsi avant de se lancer dans des formats différents. Si l’on veut transmettre son idée, mais rester aux commandes, il faut se diriger vers la franchise et ses variantes ; enfin, si l’on veut co-construire et ne pas être le seul à la barre, on s’orientera vers les groupements ou les associations. Même si cela ne facilite pas vraiment la réflexion, il faut aussi réaliser que pour le consommateur, tout cela est transparent : il ne fait pas la différence entre Intermarché et Leclerc sur le fait que l’un est proche de la franchise, alors que l’autre est un groupement.
La micro franchise
Apparue il y a quelques années, la micro-franchise touche de plus en plus de secteurs d’activité. Services à domicile, immobilier, communication, conseils en entreprise, commercialisation de produits divers… Un succès attribuable seulement en partie à la crise économique de ces dernières années ; en parallèle, la tendance va vers la simplification des concepts et l’allègement des investissements pour toujours plus de proximité.
La micro franchise n’est pas un modèle comme les autres – pour la bonne et simple raison que ce n’est pas, à proprement parler, un modèle. « L’appellation micro ne recouvre en fait aucune différence légale », souligne Emmanuel Jury, associé chez Progressium. Une micro franchise, c’est, du point de vue de la loi, une franchise, soumise aux mêmes obligations et contraintes que des réseaux de taille plus importante.
Cependant, les micro-franchises présentent suffisamment de points communs pour constituer leur propre catégorie. On désigne ainsi les réseaux bâtis sur des « petits concepts » où les franchisés sont en fait des entreprises individuelles : autoentreprenariat, bricolage… On pourrait qualifier la micro-franchise de franchise light : moins de frais, apport plus faible – le ticket d’entrée est en général inférieur à 10 000 euros -, pas de gestion de personnel, petits locaux… D’un autre côté, si les avantages présentés par la franchise sont là – notoriété de la marque, bénéfice de la mutualisation de l’expérience… – les prestations sont elles aussi souvent plus légères, notamment l’accompagnement et les formations. Les zones d’exclusivité géographiques sont également plus restreintes qu’en franchise « normale », et il arrive que les contrats soient également plus courts (2 à 3 ans contre 5 à 7 ans).
La Franchise
Un système souple, adaptable à de nombreux secteurs d’activité et à de nombreux concepts, et qui a fait ses preuves : la franchise a gagné en France ses lettres de noblesse. Elle repose sur trois piliers : une marque, un savoir-faire, et une assistance. Parmi ceux-là, c’est la question du savoir-faire qui met la franchise à part. Il est défini comme « un ensemble secret, substantiel et identifié d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du franchiseur. » Tout l’intérêt de la franchise – et sa difficulté – tient à la transmission du savoir-faire de la tête de réseau vers les franchisés. Cela demande des formations, un bon recrutement, des documents – notamment le fameux DIP, ou document d’information précontractuelle – bien tenus et à jour… « Globalement, on estime que 20% des franchises ne marchent pas », estime Emmanuel Jury, associé chez Progressium.
Tout n’est pas rose, cependant. La franchise présente quelques aspects qui forcent parfois à des compromis, et les obligations de la tête de réseau sont loin d’être négligables. « L’un des problèmes est que du point de vue du franchiseur, vente et recrutement sont mélangés, souligne Gabiel Dabi-Schwebel, fondateur du réseau 1m30. Cela n’assure pas toujours le meilleur recrutement. » De fait, ce qui fait la force du système – des indépendants réunis dans un réseau – en fait aussi la complexité : pour une tête de réseau, en un sens, les relations avec ses franchisés sont une recherche constante d’équilibre entre contraintes, conseils et laissez-faire. En ce sens, l’importance du contrat de franchise, qui fixe les rôles, responsabilités et obligations de chacun, ne peut pas être surestimée.
Le commerce associé
Le commerce associé est, et de loin, le poids lourd du commerce organisé (c’est aussi une de ses formes les plus anciennes). « Si la Fédération Française de la Franchise annonce un chiffre d’affaire tous réseaux confondus de 60 milliards d’euros, la Fédération du Commerce Coopératif et Associé dénombre plus de 144 000 points de vente, pour un chiffre d’affaire annuel de 150 milliards d’euros », souligne Emmanuel Jury, associé chez Progressium.
Le fait que la grande distribution, notamment Leclerc, etc., ait choisi ce mode de fonctionnement n’est pas étranger à cette domination. En général, la structure centrale d’un groupement de commerçants associés est une Société Anonyme (SA) Coopérative de Commerçants à capital variable, mais d’autres statuts juridiques s’appliquent également : union de coopératives, SARL à capital variable, groupement d’intérêt économique, SA…
Le principe de base du commerce associé est simple : pour rentrer, il faut acheter des parts ou des actions ; ensuite, les décisions se prennent sur la base d’une voix = un vote – le chiffre d’affaire n’ayant rien à voir à l’affaire. « C’est une forme de réseau particulièrement adaptée quand on a avec soi des vrais commerçants, qui maîtrisent bien le métier d’entrepreneur, la notion de zone de chalandise, etc. », estime Emmanuel Jury. Et l’intérêt poursuivi est le même que pour les autres réseaux commerciaux : bénéficier de la mutualisation des expériences et des moyens, par exemple avec une centrale d’achat, des cartes de fidélité… Le désavantage principal du commerce associé est, là encore, sa force : avec une voix par adhérent, cela peut parfois virer à l’Assemblée Nationale…
Le partenariat
Ce n’est pas un secret : la majorité des conflits et procédures dans le monde de la franchise tournent autour du DIP d’une part, et de la notion du savoir-faire et de sa transmission d’autre part. Le contrat de partenariat, apparu dans les années 90, propose une solution plutôt radicale à ce problème. Tout y est, dans l’ensemble, identique à un contrat de franchise, sauf sur un point crucial : la tête de réseau ne s’engage pas sur son savoir-faire. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de savoir-faire, mais simplement que la tête de réseau décide de le garder secret », expliquait Michel Kahn, président de la Fédération des réseaux européens de partenariat et de franchise (IREF). Autre différence : si le contrat de franchise est davantage un contrat d’adhésion, le contrat de partenariat est, lui, un contrat d’intérêt commun. Il se veut également plus souple dans l’esprit : l’idée est d’arriver à offrir aux membres du réseau à la fois une plus grande proximité et une plus grande marge de manœuvre.
Mais la vraie différence est managériale. « Dans la franchise, le management est vertical, hiérarchique, expliquait Michel Kahn. Dans le partenariat, le management est plus horizontal et participatif. » Pour atteindre cet objectif, des outils tels qu’un conseil consultatif et des techniques d’échange d’expérience sont prévus ; l’idée est de rapprocher de l’esprit du commerce associé. Enfin, sur le plan économique en revanche, la franchise et le partenariat se ressemblent fortement ; par exempl, les droits d’entrée sont remplacés par des redevances initiales correspondant aux services initiaux dispensés.
La commission affiliation
« Comme la location gérance ou la concession, la commission-affiliation est en quelque sorte une forme dérivée de la franchise », explique Sylvain Bartolomeu, associé chez Franchise Management. Il y a le plus souvent une marque, un savoir-faire, et une assistance – les trois piliers du modèle ; la différence tient dans la gestion du stock. En fait, la commission affiliation s’apparente fortement du dépôt-vente. Le contrat formalise le fait qu’une entreprise (le commettant) place chez une autre entreprise (l’affilié) des marchandises en dépôt pour que ce dernier les vende contre commission – en général autour de 30%. Le stock – et c’est là la différence – reste la propriété du commettant. C’est en partie une façon de contourner le problème de l’absence de financement du stock par les banques ; cela permet aussi de déporter le risque sur la tête de réseau.
En théorie, l’entreprise affiliée n’a aucune obligation de travailler sous l’enseigne du distributeur et aucune exclusivité spécifique ne lui est demandée en matière de distribution. En pratique, les choses sont souvent différentes : les contrats sont souvent liés à des exclusivités, et plus la marque est connue, plus l’affilié a intérêt à capitaliser sur cette notoriété en utilisant son enseigne. « La commission-affiliation a du sens quand le produit présente une forte volatilité : saisonnalités, rotations fréquentes… », estime Sylvain Bartolomeu. Ce qui explique que le modèle soit couramment utilisé dans le textile.
Le modèle n’est pas sans défaut. Par exemple, si une collection est mal choisie, c’est tout le réseau qui est impacté. Aujourd’hui, la mutualisation du stock ainsi que les nouveaux canaux de revente (type vente privée) permettent cependant de mitiger les dommages.
La concession
Traditionnellement, l’automobile, les produits de marque ou de luxe mais aussi l’équipement de la cuisine, le prêt-à-porter, les chaussures et les voyages ont souvent recours à ce modèle. Avec la commission-affiliation, la concession est une autre variation sur le thème de la franchise et du partenariat, qui joue cette fois-ci sur l’aspect géographique de la distribution. Le concessionnaire concède son entreprise de distribution au service d’un concédant pour qu’il s’en occupe, de façon exclusive, sur un territoire déterminé et pendant une période limitée. Ce qui rapproche le modèle de la franchise est la présence d’une notion de collaboration commerciale rapproché entre les parties : le concessionnaire fournit les produits et la marque, mais assure aussi une assistance matérielle, technique et commerciale. Mais cette assistance reste souvent limitée ; et si, généralement, une transmission minimum de savoir-faire est proposée, ce n’est pas toujours le cas.
Et surtout, contrairement à la franchise, le concédant a le droit de fixer des obligations pour le commerce de ses produits, notamment en matière de politique des prix. Selon les cas et les réseaux, les prix peuvent être fixés ou être encadré, et le concessionnaire ne peut en aucun cas les modifier. Sa rémunération provient donc de la marge qu’il impose sur la revente ou sous forme d’une commission fixée par cette marge. Le concessionnaire peut également être soumis à des quotas de vente, ou à des exigences particulières en matière de recrutement. Et enfin, dernier point important : le contrat n’est pas automatiquement renouvelable, ce qui peut fragiliser les perspectives.
Jean-Marie Benoist