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Total Recall
Le portrait-robot du franchisé est souvent celui d’un(e) quadra en reconversion. Quel est le meilleur profil pour gérer les équipes selon les procédures tout en apportant sa touche personnelle ?
A 23 ans, Ludovic Mathieu a déjà fait couler de l’encre dans la presse spécialisée en franchise. La raison ? Son jeune âge pour rentrer dans le monde des réseaux et dans l’enseigne Courtepaille, avec un point de restauration qui compte 200 couverts à Viry-Châtillon. Depuis l’âge de 18 ans, le jeune homme gère du patrimoine à Paris et se projette depuis lors en tant que gestionnaire et homme d’action. Assez pour convaincre à l’époque l’enseigne, malgré un manque d’expérience professionnelle flagrant. Ce cas, qui fait figure d’exception pour le monde de la franchise, pose cependant la question du profil recherché par les franchiseurs pour gérer des entités aux process complexes et aux équipes déjà étoffées. Si le code de déontologie explicite certaines valeurs humaines recherchées par les réseaux, dans quelle mesure peut-on affirmer que chaque franchisé, fort de sa petite touche personnelle, apporte un petit plus à la marque en matière de gestion d’équipes ? Analyse.
L’expérience du franchiseur non négligeable
L’idéal pour les têtes de réseau? Une personnalité hybride, sorte de Janus : un profil de manager mais prêt à appliquer une nouvelle méthode. La dimension RH est délicate à appréhender dans la relation franchiseur-franchisé car elle touche le recrutement, la formation, le management. « Une fois arrivé dans le réseau de franchises, j’ai suivi à la lettre tout ce qui m’avait été conseillé. J’ai maximisé tous les conseils et les points de vigilance, en particulier sur les aspects techniques, le recrutement et la politique de rémunération », explique Stéphane Graser, 43 ans, franchisé Attila Système. Le savoir-faire et son application sécurisent la qualité du service. Le franchiseur peut donc normaliser certains process de management et de recrutement dans cette optique. « Il y a des éléments non négociables et d’autres négociables, adaptables, qui relèvent du conseil et non de l’injonction. L’idée est celle de fournir assez d’éléments pour que le franchisé s’organise », continue Sylvain Bartholomeu, consultant associé du cabinet Franchise Management.
Cela dit, cette transmission ne doit pas qu’être considérée comme de la contrainte mais bien comme du conseil. L’expert du cabinet Franchise Management met en exergue la richesse du franchiseur qui n’est pas toujours relayée par les têtes de réseau: « nous conseillons aux franchiseurs de partager leur expérience. Certains réseaux oublient de transmettre leurs échecs, les pièges à éviter en matière de gestion et de management. L’apport en management n’est pas seulement question de méthodes et de procédures. La transmission d’expérience, même négative, est primordiale », ajoute Sylvain Bartholomeu. Pour la partie management d’équipe, il est donc tout à fait conseillé selon les experts de transmettre des exemples d’écueils à éviter dans le recrutement ou d’expliquer les chausse-trappes d’une mauvaise politique de rémunération.
Manager au fil des années
Autre piège à éviter, celui de penser qu’une fois le lancement assuré, le franchisé ne doit pas évoluer dans son management au fil des années pour faire performer son entreprise. Exemple avec la franchise Attila Système. Benoit Lahaye, président fondateur de l’enseigne, témoigne de cette évolution : « au départ, le franchisé commence avec trois collaborateurs, une assistante et deux techniciens. Puis à 8-9 mois après le lancement, deux nouveaux opérateurs rejoignent l’enseigne. Et de nouveau également à N+3 ou N+4 années de la création, sans oublier bien souvent le recrutement de nouveaux chargés de clientèles. L’animateur est donc là pour faire prendre de la hauteur au franchisé et l’accompagner dans la croissance en lui prodiguant des conseils en matière de management opérationnel. »
Sylvain Bartholomeu, consultant associé Franchise Management, ajoute: « les franchisés oublient parfois le bon réflexe des débuts de requérir l’assistance à la franchise car leur affaire tourne. Apprendre de nouvelles méthodes de gestion d’équipe et de management pendant la formation continue n’est pas obligatoire, mais il serait dommage pour le franchisé de ne pas profiter un maximum de l’expérience de la tête de réseau.»
De l’art de coacher sans s’immiscer
Evidence. Le franchisé est libre parce que indépendant. « L’équipe du franchiseur peut prodiguer du conseil sous forme de coaching ou d’accompagnement, mais elle ne peut en aucun cas obliger le franchisé à adopter tel ou tel style de management, ce qui pourrait être considéré comme de l’ingérence. En revanche dans la partie management, l’équipe du franchiseur peut opérer sous forme de coaching. Elle peut recadrer sur une norme, mais coté management cela se réalisera toujours sous forme de conseil », détaille François Peltier, directeur associé d’Actas Consultants. Et Benoit Lahaye, fondateur et dirigeant d’Attila Système, d’ajouter: « nous traitons d’un grand volume d’informations. Ce sont des gyrophares qui concernent chaque aspect du métier de franchisé. S’il est possible de juger d’une qualité, ou au contraire d’une défaillance grâce à des indicateurs dans le fonctionnement du point de vente, le seul véritable moyen qui reste au franchisé, c’est le management en tant que moyen de rectifier le tir et d’impliquer les équipes. »
Pour le coaching du franchiseur à son franchisé, rappelez-vous les cours de philo de terminale où vous vous ennuyiez tant. Et souvenez-vous de la maïeutique de Socrate qui consiste à faire accoucher de nouvelles idées à partir d’un questionnement qui remet en cause les représentations de la personne interrogée. Maintenant transposez-le à la franchise et vous aurez compris le rôle de la tête de réseau dans l’accompagnement au management. « Le coaching permet à l’animateur ou au conseiller d’aborder a peu près tous les sujets. C’est un jeu de questions- réponses pour révéler aux coachés des solutions tout en respectant le périmètre de chacun en matière de responsabilité. Rappelons que le principe de subsidiarité s’impose dans la franchise », explique François Peltier. Certes de nombreuses franchises précisent le fonctionnement de leur point de vente et/ ou de services jusqu’à détailler le rôle de chacun – fiches de poste à l’appui – et l’articulation de l’équipe ; mais le qui fait quoi n’est qu’une petite partie du management. Le style managérial du franchisé va donc lourdement peser dans la performance. Stéphane Graser, franchisé Attila, commente sur le succès de sa première enseigne : « les animateurs du réseau insistent beaucoup sur la formation et la montée en compétences des collaborateurs. Je pousse l’effort encore plus haut et m’attache au développement personnel de mes salariés. La façon dont je veux façonner mes équipes va déterminer l’ajout de nouvelles formations. Et mon équipe est demandeuse.»
Au franchisé, l’enseigne va lui prodiguer des méthodes de pilotage. « Mais la prise de responsabilité, la réflexion, le rapport à la performance, spécifique à chaque franchisé vont être déterminants dans sa manière de manager. Ce n’est pas parce que chacun sait quelle est sa place que l’entreprise va performer », continue l’expert d’Actes Consultants.
Ce faisant, des enseignes organisent des sessions de formations et recourent à des cabinets extérieurs pour former les franchises au management… Ce qui peut passer également par les bons franchisés.
Que faut-il alors privilégier ?
Les franchises se distinguent dans le profil qu’elles affectionnent pour personnifier la mise en musique de leur savoir-faire. Pour un commerce de proximité, des aptitudes de commerçants sont prisées. Mais pour d’autres concepts – restauration, services à la personne, grande distribution, centres de maintenance automobiles, hôtellerie, etc. -, les têtes de réseaux privilégient les personnes capables de développer l’activité commerciale tout en assumant le management d’une équipe.
« Au même titre que la vérification des dispositions financières du futur franchisé, le code de déontologie prévoit également de valider ses compétences et ses savoir-être », remarque François Peltier, directeur associé d’Actas Consultants.
D’autant qu’être du métier ne garantit pas le succès. « C’est presque systématique. Quand un franchisé est du métier il est moins efficace. Quel que soit le réseau, lorsqu’on affilie quelqu’un qui exerçait déjà dans la profession, ce dernier est moins efficace. Il est toujours plus difficile de déconstruire des habitudes que d’apprendre un métier de A à Z », soutient Sylvain Bartholomeu, Consultant associé Franchise Management. « Au moment de jauger mes forces et faiblesses, j’ai réalisé que la partie technique était un désavantage mais que mes points forts étaient nombreux en tant que futur franchisé, grâce aux compétences de gestion, de management, de définition d’objectifs et de recrutement », illustre Stéphane Graser, 43 ans, franchisé Attila Système, ancien cadre commercial qui manageait plus de 250 collaborateurs après 15 d’expériences dans les télécom.
L’angle du management pour trouver le bon candidat est difficile à manier, car changeant selon le concept, selon l’enseigne, selon les générations. « Ce qui est curieux dans le passage à la franchise, c’est de réaliser que de bons managers dans le milieu salarial peuvent être mauvais dans le poste de gérant car ces derniers entretiennent une mauvaise relation avec la notion de performance », analyse François Peltier. En d’autres termes, le background ne fait pas tout. Car la gestion du risque change la donne pour les entrepreneurs en franchise, même avec le filet qu’est le franchiseur. Une source d’obsession et de crispations qui fait souvent oublier l’empathie, l’encouragement et la pédagogie chez le manager.
Damien Camier, gérant de quatre magasins Monceau Fleurs argue que « le changement d’enseigne a repositionné le magasin, avec des produits d’appel meilleur marché. Mais cela ne doit pas effacer la créativité d’un personnel diplômé, d’un CAP voire d’un BP, et il ne faut pas que cela soit frustrant pour elles. C’est un enjeu dans le management : leur laisser leur expertise métier. Il est exigeant. Il faut donc savoir être compréhensif sur les petits problèmes de la vie, être arrangeant quand on peut l’être. Avec quatre magasins, on ne peut pas être partout, il faut donc savoir déléguer et valoriser les gens. Pour moi, construire les équipes, c’est le plus gros enjeu de l’entrepreneuriat.» Mais rassurez-vous, de nouveaux outils existent pour prédire ces comportements et l’évolution du franchisé en position managériale. Le principe de ces analyses prédictives revient à associer la valeur performance à la dimension protectrice – et son souci de l’autre, NDLR- . Pour que tout se passe bien en matière de management, il faut que la première dimension soit légèrement supérieure à la seconde. Si la première est trop forte, le climat du point de vente risque d’être délétère en raison d’un mauvais management et aura un impact négatif sur la relation client et donc à terme sur la performance de l’entreprise.
« C’est l’équipe qui participe à la notoriété de la marque. A ce sujet, nous avons mené une étude sur la valeur perçue et ressentie par les clients d’enseignes qui font dans la vente de fleurs coupées. A origine logistique similaire, les fleurs jugées les plus fraîches étaient vendues dans les point de vente ou la qualité de l’accueil était la meilleure ; qualité d’accueils qui découle du management. Qui n’a jamais perçu le management à l’œuvre dans un point de vente ?», résume François Peltier.
Mais le management ne fait pas tout. Et ce, quel que soit son style. Si des études démontrent parfois une corrélation entre le management et la relation client comme évoquée ci-dessus, il existe des enseignes qui possèdent de très bon niveaux de performances mais avec un turnover important et un style de management strict. Pensez par exemple aux fast-food. A l’inverse, il existe également des enseignes où les franchisés sont considérés comme des bons managers, mais avec un résultat moins bon. La balance est délicate..
Geoffroy Framery