Choisir sa forme de commerce organisé

« Mon petit doigt me dit que ce porteur de projet n’est pas fait pour être franchiseur et avoir des partenaires… »
« Mon petit doigt me dit que ce porteur de projet n’est pas fait pour être franchiseur et avoir des partenaires… »

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Le jugement premier

Un choix de départ qui est économique, juridique et certainement des plus stratégiques. Explications.

«Il fut un temps où le contrat de franchise n’avait pas bonne presse, dans les années 80. La loi Doubin de 1999, avec le DIP, a redoré son blason et l’a projeté sur le devant de la scène », retrace maître François-Luc Simon, avocat co-fondateur et Associé-Gérant du Cabinet SIMON ASSOCIÉS. Désormais les porteurs de projets ne jurent que par la franchise quand ils s’adressent à leur conseil pour se lancer dans le commerce organisé. « Ils savent vaguement qu’il existe d’autres contrats, mais n’en connaissent pas les subtilités », ajoute le membre du Collège des Experts de la FFF. Dire que la franchise est le modèle dominant témoigne d’une méconnaissance du commerce organisé. Les coopératives de commerçants sont plus importantes, grâce à certains poids lourds. « Leclerc a le poids de la franchise en France », rappelle maître Jean-Baptiste Gouache, avocat fondateur du cabinet éponyme, selon qui le succès de la formule tient aussi d’une médiatisation soutenue. « La FFF a très bien communiqué sur le sujet depuis un certain nombre d’années, les medias ont relayé et le salon de la franchise est monté en puissance », observe cet autre membre du Collège des Experts de la FFF. Pourtant il est déterminant de réfléchir sur le choix du contrat, car le degré d’exigence et d’engagement des différentes formules n’est pas du tout le même. « Il n’existe pas un modèle supérieur aux autres. Il s’agit simplement de trouver celui qui convient le mieux au concept, aux volontés de développement et personnalités », soutient François Luc Simon. Mieux vaut en tout cas recourir à des conseils pour déterminer la forme juridique, pour éviter la bête copie des concurrents, les effets de mode. « Celui qui part seul court le risque que la mariée soit habillée avec la mauvaise robe, trop grande, trop belle, et que le juge requalifie le contrat », déclare maître Rémi de Balmann, avocat associé responsable de la distribution et du contentieux chez D, M & D. Une requalification en gérant de succursale peut coûter très cher…

Un panel de formules

  • Franchise

C’est le système de commerce organisé le plus complet. Chaque franchisé, contre un droit d’entrée et des royalties, bénéficie du soutien actif du franchiseur à toutes les étapes de son développement (formation initiale et continue, animation du réseau, assistance…). La transmission du concept dans sa globalité inclut un savoir-faire éprouvé. Le candidat bénéficie en outre et immédiatement de la notoriété de la marque. Dans la très grande majorité des cas, le contrat offre également la sécurité d’une exclusivité territoriale, mais celle-ci n’est pas obligatoire. « Un savoir-faire qui doit être actualisé, un concept avec des éléments secrets, substantiels et identifiés et un engagement d’assistance continue », résume Rémi de Balmann. Le code de déontologie européen de la franchise demande à ce que le concept ait été expérimenté. « On ne franchise pas une idée, mais une réussite. Il faut au moins deux unités pilotes sur trois ans ou trois unités sur deux ans. Mais il importe de ne pas aller trop vite, il faut du recul et des comptes d’exploitation démontrant la bonne marche et la rentabilité du concept », rappelle Rémi de Balmann.

  • Licence de marque :

Dans le contrat le titulaire d’une marque confère à une entreprise tierce et indépendante le droit de l’utiliser, en contrepartie soit du versement d’une somme forfaitaire soit de redevances proportionnelles au CA généré. « Cela inclut tous les signes distinctifs, comme la charte graphique ou le concept architectural… C’est un partenariat moins abouti, il n’y a pas transmission de savoir-faire », précise Rémi de Balmann. Cette formule est donc limitée à certains types de produits bien ciblés.

  • Concession :

La concession exclusive repose sur la mise en place d’un contrat par lequel un groupe (le concédant) permet à une entreprise indépendante (le concessionnaire) de distribuer ses produits (ne fonctionne pas pour les services). Il y a toujours exclusivité territoriale, sur une durée déterminée. « Le distributeur est représentant de la marque », remarque Rémi de Balmann. Classiquement ce type de contrat est utilisé par l’industrie automobile, incluant l’approvisionnement en produits de la marque, la logistique, la livraison, une enseigne commune, et une politique commerciale commune. Généralement, une transmission minimum de savoir-faire est également proposée, mais ce n’est pas toujours le cas. L’entrée dans le réseau se fait par sélection du concédant.

  • Commission – affiliation :

Dans ce contrat une entreprise (le commettant) place chez une autre (l’affilié) des marchandises en dépôt. Le stock reste la propriété de l’entreprise commettante. L’entreprise commissionnée a la charge de vendre les marchandises confiées contre commission. Cette formule très proche de la franchise inclut l’approvisionnement, la logistique et la livraison des marchandises. Le contrat de commission-affiliation est très souvent complété par la mise en place d’une assistance dans les méthodes de vente, d’une enseigne commune et d’une politique commerciale. L’entrée dans le réseau se fait par sélection du commettant. « Quand le stock a une trop grosse valeur, il vaut mieux que la tête de réseau le porte. Le partenaire l’a en dépôt chez lui, il le vend pour le compte de l’enseigne, mais en son nom, sinon il s’agit d’un agent commercial », explique Rémi de Balmann. Il prend moins de risques, mais doit se soumettre aux rythmes de livraisons et est souvent lié à une clause d’exclusivité. Il n’y a pas achat des produits pour les revendre. Est-ce que cela exclue la franchise ? Non. Il est possible de cumuler dépositaire et savoir-faire.

La notion de savoir-faire au centre des préoccupations

La première chose que vérifient les conseils est la présence d’un savoir-faire. « Y a-t-il matière à réaliser un manuel opératoire qui comporte des éléments d’originalité ? », s’interroge Rémi de Balmann. Ce savoir-faire est vital si le porteur de projet veut se diriger vers la franchise. « Même si nous vexons le réseau, nous devons chercher ces informations secrètes, substantielles et identifiées, ce qui est par essence subjectif », affirme François-Luc Simon, qui n’hésite pas, s’il a le moindre doute, à dissuader son client. « Mon rôle est de protéger celui-ci. Si j’ai des doutes, je préfère lui dire qu’il n’en a pas. Car le contrat de franchise annulé fait des dégâts, avec restitution des droits d’entrée et des redevances de franchise. Et si un des franchisés gagne, c’est l’effet domino, d’autres vont suivre ». Ainsi l’expert a-t-il dissuadé un porteur de projet qui souhaitait monter un contrat de franchise pour des boutiques de vente de cigarettes électroniques. « Je lui ai dit qu’il était avant tout un commerçant, sans savoir-faire, achetant un liquide acheté en France ou en Chine puis le revendant ». Ceux qui finissent par monter une franchise sont d’ailleurs plus rares qu’on le croit. « Sur 10 personnes qui viennent me voir, deux ne font finalement rien, cinq optent pour un contrat alternatif, et trois adoptent la franchise », illustre Laurent Delafontaine, associé fondateur du cabinet de conseil en distribution Axe Réseaux. Parfois le savoir-faire ne se trouve pas au bon endroit, comme l’illustre Jean-Baptiste Gouache : « dans le prêt-à-porter il existe un vrai savoir-faire dans le design, la capacité de production, le contrôle des pièces, la logistique, la présentation des collections. Celui qui gère le point de vente se contente de réceptionner les habits et les agencer en boutique. Ici le savoir-faire n’est donc pas au cœur de la relation contractuelle. Une licence de marque moins engageante suffit, avec une simple mise à disposition de la marque et de ses signes distinctifs ». L’exemple inverse peut concerner la boulangerie. « Quand elle choisit la production sur place, comme Feuillette, il faut être capable de gérer une équipe de production de 10 personnes, parvenir à produire des pains homogènes. Le franchiseur remet des parcelles entières du savoir-faire dans les mains du franchisé. Au contraire Paul ou la Brioche Dorée, qui utilisent des panneaux de cuisson, auraient pu prendre autre chose que la franchise ».

La personnalité et les objectifs entrent en compte

Les conseils doivent cerner le porteur de projet. « J’avais des doutes sur une personne, qui était en retard avec moi pour la quatrième fois en quatre rendez-vous. Je lui ai dit que vis-à-vis de moi ce n’était pas grave, mais que j’avais l’impression qu’elle n’était pas organisée et sous-staffée, ce qui était grave pour la formation des futurs franchisés. Ceux-ci sont des clients qui payent, il n’est pas possible d’adopter une telle attitude. Elle a opté pour un autre contrat », se souvient François-Luc Simon. Celui qui est à la tête d’un réseau succursaliste aura aussi du mal à franchir le cap. Il aura généralement uniquement confiance en lui-même et en ses subordonnés. « Adopter la posture de chef de réseau de partenaires indépendants demande un autre caractère », soutient Rémi de Balmann. Le dirigeant qui a déjà 700 magasins en propre doit apprendre à tenir compte de leur avis sans les envoyer promener. Il doit en amont s’approprier les mécanismes, bien réfléchir à ses obligations et définir précisément ce qu’il attend des franchisés. C’est un engagement, on n’est pas franchiseur du jour au lendemain. « Nous traitons clause par clause avec lui, car il s’agit d’un nouveau métier », ajoute l’avocat expert, selon qui « il n’est pas possible de parler de la même manière à son directeur de développement et à ses franchisés. Ce n’est pas le même vocabulaire, il faut éviter les risques de requalification ». D’autres n’ont pas les meilleures intentions lorsqu’ils souhaitent développer un réseau de franchise. « Des gens peuvent ne pas avoir envie d’assister les franchisé et d’animer le réseau. J’ai eu le cas avec des grossistes dans le textile qui, en franchisant des détaillants, voulaient juste les approvisionner en gros. Cela n’a donc pas été possible, nous sommes passés par la commission affiliation », cite Jean-Baptiste Gouache. La tête de réseau peut vouloir faire un faux réseau. Si le porteur de projet organise tout, les commandes, les horaires, fixe les prix… le salariat déguisé n’est pas très loin.

Contrats customisés

Des conseils comme Axe Réseaux établissent un audit, avec scoring, recommandations, vérification des barrières à l’entrée, cahier des charges pour tel type de contrat, puis l’avocat valide. Mais certains conseils d’une autre génération utilisent des contrats standardisés, « à la papa », peu précis, qui se contentent de fixer les principes. « Les contrats sont désormais plus anglo-saxons, exhaustifs, construits en dialoguant avec le client, laissant une faible interprétation au juge », affirme Jean-Baptiste Gouache. Une exclusivité territoriale ? Laquelle ? Pour toute la durée du contrat ? Est-elle subordonnée à tel objectif ? « Dans la coiffure par exemple l’objectif peut être un taux d’occupation de fauteuil supérieur à 90% », illustre l’avocat. Chaque DIP est travaillé, personnalisé. Chaque contrat est pensé selon le concept et les attentes du franchiseur (durée, modalités, renouvellement…). Des clauses sont ajoutées. « On retrouve des clauses de nature à qualifier le contrat et des clauses plus spécifiques au secteur ou au profil du porteur de projet », résume Rémi de Balmann.

Historique

Commerce intégré, associé et organisé

Il existe bien sûr le commerce classique, intégré ou succursaliste. Puis est apparu le commerce associé des coopératives en réseau, au 19ème siècle. Ces structures ont pour principal intérêt de regrouper des commerçants indépendants pour leur donner plus de poids en tant qu’acheteur. Sur le principe de l’union fait la force, les coopératives deviennent une forme de commerce participatif. L’homme est au cœur du processus de regroupement. Chaque associé équivaut à une voix. Tous les associés décident ensemble de l’utilité des structures à créer en commun (centrale d’achat, plate-forme logistique…). Dans les années 1960, le modèle de la coopérative porte l’éclosion des premiers supermarchés. C’est alors que de nouveaux besoins se font jour. La notoriété de la marque devient le cœur du développement. C’est à cette époque que débute le commerce organisé et les premières expériences en franchise, qui ne suivent pas cette philosophie, même si quelques principes sont identiques (centrale d’achat, développement de concept d’agencement, notoriété de marques…).

Julien Tarby

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