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Révision complète
Que ce soit le lavage, l’entretien, la réparation ou la vente de pièce détachée, l’après-vente automobile évolue avec les nouveaux usages, attentes des consommateurs et technologies.
Lorsque Jean-Noël Cornuaille décide d’ouvrir une station de lavage, il y a sept ans, il constate rapidement que le secteur nécessite un bon coup de neuf : « il y avait des lacunes dans ce métier, il n’était pas humain, les machines ne fonctionnaient qu’une fois sur deux, les équipements étaient rouillés et vieux », explique-t-il. Autant de manquements qui viennent, aux yeux de l’entrepreneur, expliquer pourquoi le français lave deux fois moins sa voiture que l’allemand, et trois fois moins que l’américain.
De l’artisanal au professionnel
Mais si, dans les stations visitées par l’entrepreneur, le service laisse à désirer côté client, côté entrepreneur le tableau n’est pas tellement plus engageant. Le modèle économique de l’entretien de voiture ne permettant pas de faire de cette activité une activité principale, celle-ci était surtout utilisée en complément de revenu, et souffrait d’un manque de transparence. « La maladie du métier c’était aussi les espèces, beaucoup de vendeurs de matériel fonctionnaient de la manière suivante : pas de salariés, pas de compteurs, et des espèces », complète Jean-Noël Cornuaille. Autant de signaux qui poussent le fondateur de l’enseigne Astikoto à revoir le fonctionnement de ses stations de lavage de fond en comble. Conscient que l’activité nécessite un contact humain pour redémarrer, il décide d’installer un commerçant sur place ; mais pour cela, il lui faut trouver un complément d’activité. De cette nécessité, et des remontées de ses premiers clients, sont nées ses activités de car stagging, c’est-à-dire la préparation du véhicule à la revente, proposée aux particuliers comme aux professionnels du secteur, mais aussi l’installation dans ses stations d’une boutique de produits d’entretien. A ce jour bien installé sur la région Nantaise, l’entrepreneur constate une réelle évolution du métier : « dans notre métier, les choses se sont professionnalisées, il n’y a plus de petit centre ou de centre vieillissant, cela est en train de changer. La préparation esthétique pour les professionnels est un métier qui est en train de s’organiser, aujourd’hui les garages n’ont plus de préparateurs et sous-traitent à des entreprises comme nous », explique-t-il.
Moins d’acteurs, plus de services
Au-delà du lavage, c’est tout le secteur de l’entretien, réparation, vente et accessoires automobiles qui étoffe sa gamme de services et concentre dans un même lieu les différents besoins des clients. « Auparavant il y avait des spécialistes du freinage, du pneu ou de la carrosserie, et l’on pouvait imaginer qu’un client changeait ses pneus chez Point S puis allait ensuite chez un concurrent pour ses freins ou même pour faire sa révision. Aujourd’hui ces prestations sont couvertes chez tous », constate Joël Arandel, directeur marketing de Point S. Ce dernier constate que son enseigne, au même titre que les autres du secteur, ne peut plus se limiter à son métier d’origine et doit s’ouvrir à d’autres services. « Ces services peuvent être liés à la technologie, aux évolutions de mobilité, ou même aux nouvelles lois. Des acteurs comme nous sont, par exemple, amenés à proposer les services de carte grise depuis que la Préfecture de Police ne le fait plus ». L’enjeu est de proposer un service de plus en plus premium d’un côté mais aussi de s’adapter au client qui dispose de moins en moins de temps : « le temps accordé à la prestation automobile se réduit, nous ne sommes pas sur un marché passionnel, mais sur un métier de panne. Il faut que nous arrivions à faciliter la vie des personnes qui ont un peu moins de temps aujourd’hui », rajoute-t-il.
Le garage se rapproche et se déplace
Un manque de temps qui pousse les enseignes à différentes initiatives afin de satisfaire ce client. Point S, par exemple, est présente depuis 2016 en centre-ville avec Point S City, des centres plus petits qui viennent compléter une activité liée au secteur automobile déjà existante. Elle a également lancé un service de conciergerie, afin que la réparation soit la plus indolore possible pour le client. Un équipier se déplace pour aller chercher le véhicule, il le répare, lui rapporte, et peut même en profiter pour le laver ou faire le plein d’essence.
D’autres enseignes ont, justement, tiré parti de ce besoin et ont inversé la relation. Lorsque Stéphane Blanc a lancé Best’Oil avec son associé, l’idée de départ était de proposer aux clients un camion dédié au montage de pneumatique qui se déplaçait directement sur le lieu de l’intervention. Le concept fonctionnant auprès des clients, les camions Best’Oil ont petit à petit été sollicités pour faire de la mécanique et, depuis 2013, proposent toute une gamme de service, du pneumatique au nettoyage écologique en passant par la vidange ou encore les amortisseurs. « Nous apportons un service, nous explique Stéphane Blanc, à présent c’est le garage qui se déplace sur le lieu de travail ou directement à la maison ». Le co-fondateur, en charge du développement du réseau, constate, lui aussi, la nécessité de proposer un service plus global : « aujourd’hui, il faut être le plus complet possible, lorsque nous déplaçons un camion, nous faisons plusieurs interventions sur le véhicule. Nous tentons même de proposer des services dans la vente de véhicule ».
Nouveaux usages, technologies, compétences
Mais l’évolution du client ne s’arrête pas au manque de temps. Avec l’arrivée des nouvelles technologies et des plateformes collaboratives, celui-ci est entré dans une économie d’usage. Et ce qui vaut pour le vélo en centre-ville vaut aussi pour la voiture. « L’objet voiture a changé, il est utilisé différemment, nous explique Jean-Noël Cornuaille ; demain une voiture sera vue comme un service, et non plus comme un produit, cela deviendra un coût d’utilisation mensuel ». Une évolution que Point S anticipe également en s’associant avec la plateforme Ouicar qui permet aux particuliers de louer leur voiture. L’enseigne propose ainsi à tous ceux qui louent leur véhicule sur la plateforme une révision spécifique. De quoi donner confiance aux futurs loueurs, et même, peut-être, permettre un meilleur référencement. Ces nouvelles technologies, cependant, ne se sont pas contentées de créer un nouveau rapport à l’objet, elles se sont aussi largement invitées dans la voiture elle-même, compliquant parfois l’organisation des professionnels du secteur. « Les outils captifs qu’ont mis en place les grandes marques font que l’on ne peut plus mettre la main aussi facilement dans un moteur, il faut une valise électronique », explique Jean-Noël Cornuaille. Un moyen pour les constructeurs de s’assurer que le propriétaire du véhicule se rendra en priorité chez son concessionnaire. Et cela impose aux enseignes de réparation de s’adapter. Si la réglementation européenne autorise tous les professionnels du secteur à obtenir un agrément pour assurer le service après-vente des véhicules, ils doivent cependant se former et s’équiper des pièces nécessaires pour offrir une révision Garantie Constructeur Préservée.
Des véhicules hybrides et connectés
Au-delà des outils captifs, les nouvelles technologies créent également de nouveaux types de véhicules, les véhicules électriques ou hybrides, et ceux-ci nécessitent également des compétences et techniques particulières que les enseignes doivent intégrer pour répondre au mieux aux besoins du client. « Nous avons de plus en plus de véhicules hybrides ou électriques, nous explique Joël Arandel ; cela créé des évolutions de marché importantes pour nous. Nous avons dû les prendre en compte dans nos points de vente. Intervenir sur un véhicule électrique demande un savoir-faire spécifique ; les pneus, par exemple, ne s’usent pas de la même manière. Il y a un vrai protocole d’intervention sur ce type de véhicule ». Des évolutions techniques et énergétiques qui ont poussé l’enseigne à former ses équipes à ces nouveaux enjeux, de plus en plus spécifiques. « Les véhicules ont tellement changé avec le temps, que l’on pourrait presque dire que chaque véhicule est unique aujourd’hui », surenchérit Joël Arandel. Unique, mais également connecté, ou du moins connectable, ce qui permet l’essor de l’utilisation de la data par les enseignes. Point S l’utilise, par exemple, pour faire du marketing prédictif et informer directement son client de son prochain contrôle technique ou de sa prochaine révision. « A partir du moment où le véhicule rentre dans nos ateliers, la donnée nous remonte une information client, qui va nous permettre d’envoyer un message en amont d’une prestation ou d’une réparation au client directement. Cela n’est pas perçu comme une démarche trop commerciale, car nous apportons une prestation qui est le plus souvent obligatoire », explique Joël Arandel.
Des pure players se fraient un chemin
Mais si le secteur s’organise et se forme, reste-t-il une place pour de nouveaux entrants qui viendraient proposer d’autres business models ? « Nous voyons arriver des SSII qui interviennent sur la relation client. Elles vont promouvoir les services directement au client, qui peut faire des demandes de réparation en ligne, tout en restant chez lui » nous explique Stéphane Blanc. Un constat que partage également Joël Arandel, « certains acteurs ont considérablement développé le web-to-store et apportent une vraie nouveauté sur les sujets de la prise de rendez-vous et de la demande de devis sur internet. Cela change un peu la donne dans la mesure où la question n’est plus de savoir si telle ou telle enseigne existe, mais plutôt de comparer les prix selon les enseignes, et parfois même de prendre directement rendez-vous en ligne ». Des pure players qui interviennent en amont de la relation, donc, et qui vont jouer le rôle de comparateurs afin de faire jouer la concurrence. D’autres pure players se sont lancés, eux, dans la concurrence directe de l’un des métiers des centres de réparation automobile : la vente de pièces détachées. « Le client est aujourd’hui amené à commander lui-même les pièces détachées, et cela bouleverse de manière assez importante le modèle économique du garage, explique Stéphane Blanc, car si cela venait à se généraliser, le garage ne gagnerait plus sa vie que sur la main d’œuvre ». Une situation qui, s’il elle est envisageable, n’est pas encore actuelle ; « certains pure players vendent des pneus directement, mais aujourd’hui cela représente 7 à 12% de la vente de pneumatiques, et cela n’offre aucune garantie que les pneus soient bien montés à la fin », tempère Joël Arandel. Une libéralisation de la vente de pièces détachées qui a tout de même facilité l’activité de Best’Oil : « il y a quelques années, le marché de la pièce détachée était assez figé, il fallait être un garage pour commander, aujourd’hui la supply chain est en train d’évoluer. Dans notre cas, comme nos garages ne sont pas fixes, cela nous permet d’optimiser notre activité », complète Stéphane Blanc.
Et l’écologie dans tout cela ?
Difficile de parler automobile sans parler d’empreinte écologique. Comment les acteurs du secteur intègrent-ils cette notion ? Pour l’activité de lavage en tout cas, l’écologie semble être une réalité. Chez Astikoto et Best’Clean, le camion de lavage automobile mis en place par Best’Oil, l’aspect écologique du lavage est fièrement mis en avant. Astikoto en a même fait son slogan, et propose sur son site des prestations avec maîtrise d’eau et utilisation de produits à 99% biodégradables. « L’aspect écologique est très important, ce sont des sujets que nous abordons tous les jours avec nos clients, nous explique Jean-Noël Cornuaille, ils nous demandent pourquoi nous sommes écologiques, ou encore quels sont les produits utilisés. Tout le monde a compris qu’il fallait faire écologique, il faut systématiquement l’inclure dans sa réflexion, c’est un argument sur ce secteur d’activité ». De son côté, Point S propose, dans plusieurs points de vente, aux clients qui le souhaitent, de déposer leur véhicule en réparation et de repartir en vélo électrique au lieu du traditionnel véhicule de courtoisie. Une façon de montrer la volonté des professionnels de l’après-vente automobile de prendre en compte les nouveaux usages des citoyens en matière de mobilité.
Nicolas Pagniez