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Il/elle est au bord de la falaise. Son deltaplane bien arrimé. C’est sa première fois, son premier saut. Alors le/la candida/te prend son élan et… arrête sa course ! Minute, papillon. Il/elle se souvient que le 30 septembre, la conférence inaugurale du salon SME de la micro-entreprise s’intitulait Entreprendre dans l’incertitude, même pas peur ! Entreprendre dans la franchise relève des mêmes questions. Petit résumé adapté.
L’incertitude ? Elle est inhérente à tout projet entrepreneurial. Le/la franchisé/e qui signerait son contrat sans son lot de questions devrait s’alarmer : risque et incertitude sont les deux mamelles de toute entreprise ! Mais au fait, le système de la franchise n’a-t-il pas pour atout majeur de les réduire a priori, ces incertitudes ? Les réduire, certes, pas les éliminer. Petit voyage dans le domaine du doute.
L’incertitude financière
C’est l’incertitude mère de toutes les autres ! Moyen et finalité du projet, le « problème » et la « solution ». La première question financière se nomme droits d’entrée. Certes, il existe des franchises abordables (Franchise & Concept(s) n° 24) aux droits parfois inexistants. Mais en règle plus que générale, se lancer en franchise représente un gros investissement, toujours facteur de risques. Si les banques prêtent plus facilement au vu d’un dossier de franchise, le futur franchisé se doit de mener son enquête indépendamment et se faire sa propre opinion sur la viabilité de son projet. Pour l’avocate Charlotte Bellet, du cabinet BMBG, spécialisé depuis près de 50 ans dans la franchise, « les banques ne s’inquiètent pas toujours de la rentabilité du réseau de franchise en question. » Or le/la candidat/e doit, lui/elle, en réduire l’incertitude : un investissement conséquent doit se coupler immanquablement à une rentabilité appréciable, surtout quand le patrimoine personnel est engagé. Le poids de cette incertitude financière en engendre d’autres, plus ou moins importantes.
Toutes les données impactent la rentabilité
Face à une concurrence considérable, en augmentation, chaque élément du projet constitue une source d’incertitude, surtout si l’on se lance seul dans le projet. La question du lieu d’implantation et de la taille du point de vente, parfois sujets à des erreurs d’appréciation, risquent de coûter la vie de l’entreprise et constitue l’une des principales incertitudes du franchisé. Charlotte Bellet illustre ainsi le dilemme : « Dans la restauration, on a des 300 ou 400 m2 à Bordeaux ou à Lyon, qui tournent très bien. Mais on ne peut pas prétendre que ça va marcher de la même façon dans la ZAC de je ne sais quelle ville. Des échecs ont été liés à la taille. Untel avait jeté son dévolu sur telle franchise, le bon produit au bon endroit. Mais le projet s’est vu complètement déséquilibré en termes d’investissement : il avait ouvert 1 500 m2 de vitrine dans une ZAC où la moitié suffisait. Il aurait suffi de réduire la surface de moitié, et le projet cartonnait. » Ce genre de situation naît souvent d’un manque de données chiffrées fournies par le franchiseur. C’est au franchisé de remplir les cases blanches de son tableur. Malgré une loi Doubin qui a exigé la transparence des franchiseurs, il reste souvent difficile de border son projet si l’on se contente du minimum syndical.
• Il me faut le maximum de données chiffrées pour simuler la rentabilité du projet.
• Je dois les obtenir du franchiseur.
• Et, sinon, les évaluer moi-même.
Un DIP insuffisant
La loi Doubin n’oblige pas le franchiseur à communiquer le montant des charges, les taux d’endettement, la rentabilité, le chiffre d’affaire moyen du réseau ni le résultat d’exploitation. Mais bon nombre dépassent la réglementation pour se montrer transparents. Ils ont d’autant plus raison que favoriser la réussite de son réseau, c’est assurer son succès. Charlotte Bellet n’affirme pas autre chose : « Un franchiseur droit dans ses bottes qui considère que son concept est très rentable a évidemment tout intérêt à communiquer tous ses chiffres. » Mais le verdict de la conseillère se révèle accablant : « Si la loi obligeait le franchiseur à donner les chiffres d’affaires de son réseau, on perdrait 70 % des réseaux de franchise. » Un océan d’incertitudes…
Les franchisés aussi devraient faire preuve de transparence
Si vous n’obtenez pas, à travers le Document d’information précontractuel, un détail chiffré suffisant, il vous reste à mener l’enquête, parfois directement auprès des autres franchisés de l’enseigne. Mais rien n’est simple : lesdits franchisés ne consentent à livrer que rarement les données tues par le franchiseur. Ceux qui publient leurs bilans tournent autour d’un petit 30 %. Vos terrains d’enquête seront Internet et les salons spécialisés, votre ardeur à estimer la rentabilité ne faiblira pas. Le piège serait de faire preuve d’une trop grande confiance. Charlotte Bellet : « Comme les gens pensent que le secteur de la franchise est balisé, ils ne se méfient pas, ils sont dans une relation de confiance. »
• Un DIP insuffisamment précis doit constituer une alerte.
• Je mène l’enquête pour réduire l’incertitude.
Contrat & clauses
Êtes-vous véritablement un entrepreneur indépendant qui s’inscrit dans un réseau de confiance ? Pour répondre à cette incertitude, scrutez les clauses du contrat. Interrogez la jurisprudence qui révèle de nombreux cas de requalification de contrat : vous n’étiez pas indépendant, vous étiez un employé du franchiseur ! L’article L7381-2 du Code du travail autorise la requalification de contrats de franchise en contrats de travail quand le degré de sujétion à la tête de réseau se montre patent. Le franchisé doit, pour justifier de son statut, prouver devant le conseil des prud’hommes que les quatre critères d’un contrat de franchise sont remplis : l’activité porte sur la vente des marchandises. Le local a-t-il été imposé ou agréé par le franchiseur ? Une clause de fourniture exclusive ou quasi-exclusive existe-t-elle ? Des conditions et des prix imposés par le franchiseur compromettent-ils l’indépendance du franchisé ? Une telle requalification, relativement courante, constitue une véritable incertitude pour les futurs franchiseurs. Chez Yves Rocher par exemple, plus de cent contrats de franchise ont déjà été requalifiés. Certaines clauses contractuelles sont elles aussi sujettes à de grandes incertitudes. Elles se soldent par un abandon du projet face au refus de négociation de la part du franchiseur.
Fin de contrat : ne soyez pas « piégeable »
Trois clauses en particulier représentent une inquiétude pour le futur franchisé. Les premières sont celles qui prévoient, en cas de manquements du franchisé, des pénalités, jusqu’à 100 000 euros et davantage. D’autres, au nom assez barbare (non-concurrence post-contractuelle), encadrent les conditions de sortie du franchisé. Une fois la date de fin du contrat dépassée, l’ancien franchisé sous la dépendance de telles clauses n’a plus le droit d’exploiter son local pour la même activité. Pour Charlotte Bellet, ce type de clause manque gravement à l’équité. Les articles du contrat qui prévoient la résolution des litiges font elles aussi douter. Lorsque la loi américaine s’applique, le litige se réglera sur le sol américain… Cette clause ne passe pas inaperçue et représente souvent une grande source de questionnements.
• Bref, je lis avec attention, comprends la portée de chaque clause.
• Au besoin, je les conteste et m’efforce de réduire l’incertitude parfois savamment générée par le partenaire.
• Je prévois le recours à une aide extérieure spécialisée dans ce type d’entrepreneuriat.
• Et si le franchiseur ne veut pas retoucher son offre, je la repousse.
Le dernier mot revient à notre juge de paix, Charlotte Bellet : « Il arrive qu’on ne veuille pas voir les oiseaux de mauvais augure lorsqu’on se lance dans un projet avec de grandes espérances. »
Le nouveau départ, l’indépendance, la rentabilité fabuleuse promise par les franchiseurs font rêver, mais ne doivent pas éclipser la rationalité que requiert la création d’une entreprise à l’investissement majeur et aux multiples enjeux.
Jean-Baptiste Chiara