VRP : de « beau parleur » à data-scientist

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Dans la famille commerce organisé, je joue la carte VRP. Le voyageur représentant placier a connu son ère de gloire au cours des Trente Glorieuses et son image un peu misérabiliste de forçat de la route et des portes fermées a disparu. Cette forme d’indépendance relative constitue aujourd’hui un choix attractif avec des avantages par rapport à la franchise. Explications.

Au sein des start-up et autres entreprises innovantes, commerciaux s’intitulent business developers. Ce qui vous a une autre allure ! De quoi dépoussiérer la fonction et attirer de nouveaux candidats. Et si l’antique VRP à son tour changeait d’habit ? Voilà des agents commerciaux, hommes et femmes, qui restent indispensables pour de nombreux secteurs d’activité. Dans le textile notamment, dans l’édition, dans l’électroménager, VRP wanted. Mais non simple démarcheur, avec ses encyclopédies ou ses aspirateurs dans des cages d’escalier ou des hameaux de pavillons. Le/la VRP se pense surtout en BtoB. Il/elle va créer et alimenter la clientèle d’une marque en allant à la rencontre… des distributeurs et des revendeurs !

Un vrp à l’ancienne très recherché par les jeunes entreprises

Son statut lui offre un certain nombre d’avantages, tout comme à l’entreprise. Comment travaillent-ils ensemble ? Dans une relation particulière, à mi-chemin entre salariat et indépendance. « Le VRP bénéficie des conditions du salarié, mais il n’existe pas de subordination entre l’employeur et lui ou elle, explique Laurent Delafontaine, associé fondateur du cabinet Axe Réseaux. Il s’agit d’un contrat par lequel une personne bénéficie de conditions particulières pour promouvoir des produits. » Il existe d’ailleurs deux statuts de VRP, le « multicarte », et l’« exclusif ». Les deux contrats n’offrent pas les mêmes conditions. Le VRP multicarte sera rémunéré soit à la commission, soit par un salaire fixe, soit un mélange des deux avec des objectifs. Pour les jeunes entreprises, c’est le moyen d’ouvrir un marché à moindre coût, mais leur fait courir le risque que leur marchandise soit diluée dans une offre beaucoup plus large. « À moindre coût car le voyageur représentant placier se rémunère sur ce qu’il vend, explique Laurent Delafontaine. Il est également susceptible de gérer, en plus de la phase de commercialisation, les stocks, les livraisons sur une région donnée par exemple. » Un fonctionnement très répandu dans l’industrie textile. Le site Internet du Journal du Textile montre que la demande de « responsable de zone », de « commercial terrain » ou autres dénomination métiers se révèle forte dans les industries du secteur. « C’est un métier qui a toujours existé, mais en particulier pour de jeunes fabricants qui se lancent et cherchent à distribuer leurs produits sur des zones géographiques où ils ne sont pas présents. » Si vous cherchez à lancer une collection de sacs à main en Bourgogne par exemple, le VRP fera le tour de toutes les maroquineries et autres boutiques de sacs à main pour placer vos produits en boutique.

Un statut proche du salariat

Ce format n’est pourtant pas le seul qui existe. Avec une clause d’exclusivité introduite dans son contrat, le ou la pro VRP a interdiction de travailler pour le compte d’une autre entreprise. L’employeur en tire la que le/la VRP occupe l’intégralité de son temps à ne développer que sa marque. Pas de risque de concurrence donc, mais une contrepartie financière. Le VRP exclusif, s’il n’est pas salarié, s’en rapproche puisqu’il bénéficie d’une garantie de rémunération minimale. Elle équivaut à 520 fois le Smic horaire par trimestre, soit 5 137,60 euros en 2018, ce qui revient à environ 1 712,5 euros par mois. Le VRP multicarte bénéficie de cotisations sociales de la part de l’entreprise et se voit affilié par l’entreprise au régime de retraite. Il/elle doit à l’inverse se charger de toutes ces formalités, comme un travailleur indépendant.

La prospection ? priorité numéro… 2

Au-delà de son statut, le/la VRP ou commercial(e) terrain voit son rôle évoluer. Là où, hier, seul son chiffre d’affaires importait, aujourd’hui la relation bâtie avec le client est la priorité. Viennent ensuite la prospection et la négociation. Un client satisfait est fidélisé, il est plus chronophage et coûteux d’en chercher de nouveaux que de conserver des acheteurs réguliers. Pour y parvenir, notre VRP, bien que sur le terrain, doit de plus en plus composer avec un autre service central de l’entreprise, le marketing. Avec l’émergence des nouvelles technologies, mais aussi sur des marchés de plus en plus concurrentiels, marketing et VRP doivent plus que jamais collaborer. Selon une étude menée par Nomination-CMIT, l’alignement marketing et ventes se révèle indispensable à 63 % afin d’identifier et d’engager les prospects. Conscientes, les entreprises soutiennent ce fonctionnement rapproché. En tout cas plus de 50 % des entreprises ont adopté cette démarche en France selon le CMIT. Le/la VRP ne doit plus seulement compter sur son bagout et son catalogue pour défendre ses produits, il va compter sur les outils mis en place par l’entreprise. Envoi d’informations par mails, communications sur les réseaux sociaux, sourcing de prospects, autant d’actions grâce auxquelles la force de terrain déblaie son arrivée. À lui, elle, de se tenir au courant des évolutions marketing, des informations mises à sa disposition et d’entretenir la relation avec son prospect. C’est bien adopter les processus classiques de vente en BtoB où les cycles de vente longs exigent d’entretenir une présence sur la durée : à l’heure des smartphones et autres devices, ce vivier s’entretient tout autant en ligne que lors de rendez-vous physiques. Le marketing est fournisseur de contenu (content marketing) pour maintenir une présence tout au long du process de décision, de pratiquer des approches moins directes et de valoriser son expertise, et celle de l’entreprise. Un travail plus en douceur, «  accompagné » par l’employeur ou le donneur d’ordre.

Ce que pensent les prospects

Le/la VRP terrain s’adapte à un véritable changement lors de ses rendez-vous prospects. Ses interlocuteurs en savent souvent autant ou plus que lui/elle. Le vendeur a affaire à des prospects connectés, alimentés en permanence par les réseaux sociaux, leurs boîtes mail ou les médias. Selon une enquête menée par Forrester en 2015, 74 % des acheteurs BtoB commencent par mener leurs propres recherches en ligne avant d’accepter de discuter avec un commercial. Une autre étude, menée par IKO System, entreprise spécialisée dans l’inbound marketing◊, met en avant que 70 % des prospects détestent être démarchés par téléphone. Une évolution des attentes des entreprises que le métier de VRP doit endosser et apprendre à s’intégrer dans une stratégie qui met plus en valeur sa capacité à clôturer une vente plutôt qu’à l’amorcer. La phase d’amorçage, si elle reste à sa charge dans de nombreux cas, aura aussi en grande partie été gérée par les outils mis en place par l’entreprise. Le/la VRP devient alors expert(e), mais aussi conseiller(ère). Il n’est pas rare de lire dans une offre d’emploi que le profil recherché est celui d’« un/e véritable spécialiste et prescripteur(e) » des produits concernés. Comprendre qu’il ne s’agit plus simplement de « pousser à la vente », mais de démontrer la valeur ajoutée d’un produit et surtout personnaliser le discours afin que le prospect identifie une valeur supplémentaire au discours par rapport à ce qu’il aura pu lire en ligne.

Le/la vrp contre-attaque

Cette personnalisation justement, devient sa nouvelle arme. Si le prospect a accès à plus d’informations, le VRP n’est pas en reste. En plus de son expérience et de sa connaissance du terrain, il/elle s’appuie sur les analyses fournies par le marketing ou sa direction commerciale et va compter sur des outils de prospection qui lui évitent le porte-à-porte à l’ancienne. Aujourd’hui, des outils screenent par exemple les réseaux sociaux à la recherche de clients potentiels qui ont cherché de l’information sur le produit. L’étude d’IKO System montre que LinkedIn est un vivier d’information pour 72 % des commerciaux. Notre VRP n’est alors plus un orateur au discours rodé, mais un esprit analytique capable d’utiliser des solutions d’intelligence commerciale, de comprendre l’importance de la donnée dans sa relation avec le prospect/client et le cas échéant il/elle se mue en pro des réseaux sociaux avec entre autres l’émergence du social selling. On est loin du démarcheur à tout point de vue. Ce métier redore son blason, recommence à attirer, convient à des millenials proches du salariat sans lien de subordination, séduits par l’indépendance avec l’accompagnement de l’entreprise et l’intégration d’outils technologiques puissants. Malgré tout, certains avantages d’hier disparaissent. « Une évolution juridique récente doit attirer l’attention, explique Laurent Delafontaine, il s’agit de la jurisprudence nouvelle à propos de l’indemnité de rupture. Jusqu’à récemment, lorsqu’une entreprise décidait de se séparer d’un agent VRP, elle devait lui verser une indemnisation au regard de la clientèle que le/la VRP avait constituée pour l’entreprise et dont il/elle était « propriétaire ». Les entreprises en contestent de plus en plus la réalité. En 2018, un arrêt donne raison à la société Guy Moquet qui n’a pas eu l’obligation d’indemniser son agent commercial ». Une jurisprudence à prendre en compte lorsqu’on veut se lancer dans le métier.

Nicolas Pagniez

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