S’engager en franchise, ça se réfléchit !

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Se lancer dans l’aventure de la franchise revêt souvent la forme d’un projet de vie dans lequel le·la franchisé·e investit son temps et son argent, bien souvent sans compter. Qui dit investissements importants dit risques proportionnellement élevés. Mieux vaut ne pas se tromper au moment de choisir son franchiseur et de signer son contrat. Encore faut-il bénéficier des bons conseils, prendre le recul nécessaire, se poser les bonnes questions et bien s’entourer. Les conseils généreux d’une avocate qui signe avec Nicolas Dissaux, son confrère, le passionnant Guide la franchise aux éditions Dalloz. Un « bible » qui doit rester à portée de main de tout·e candidat·e à la franchise et… tout franchisé tout court.

Le secteur de la franchise se révèle parfois complexe à appréhender. Il est souvent très attractif pour de jeunes entrepreneur·es ou de moins jeunes salarié·es en quête de reconversion. Et pour cause, avec 78 200 points de vente franchisés, plus de 2 000 réseaux répertoriés, 67 milliards de chiffre d’affaires en 2019 et quelque 757 800 créations d’emplois directs et indirects, la France de la franchise pèse lourd ! Pour livrer une analyse et une compréhension stratégique du secteur aux acteur·rices de la franchise, Charlotte Bellet, avocate au barreau de Paris associée au cabinet BMGB et Nicolas Dissaux, lui aussi avocat mis au barreau de Lille, et tous deux professeurs des universités, ont cosigné le Guide Dalloz de la franchise. Les deux spécialistes et praticiens du droit de la distribution et de la défense des franchisé·es y livrent les écueils à éviter et les conseils à suivre, notamment, par les aspirant·es à la franchise, avant de s’engager et de signer les contrats.

« La franchise attire trop de franchiseurs et franchisé·es amateurs. À peine une idée en tête, les candidat·es franchiseurs lancent parfois leurs réseaux à la hâte. Et les premiers franchisé·es, souvent inexpérimenté·es, d’en faire les frais. Le rôle respectif des parties est essentiel : leur action ordonnée est capitale pour le développement harmonieux du secteur de la franchise », résume Charlotte Bellet. L’avocate spécialisée l’assure : « Le premier conseil, c’est vraiment de prendre son temps, bien choisir son secteur d’activité et surtout se demander si l’on est bien “fait” pour la franchise, une aventure qui embarque souvent une partie de la famille. » D’autant plus que la majorité des franchisé·es sont souvent issu·es du salariat ou ne montre que très peu d’expérience du marché du travail. La première étape de l’introspection est donc primordiale, il faut se montrer prêt·e psychologiquement à s’investir de A à Z dans son projet. Vient ensuite celle du choix du secteur d’activité, également très personnelle et relative. Et, troisième point, non des moindres : le choix du franchiseur.

Bien choisir son franchiseur

« Il faut avant toute chose évacuer immédiatement son enthousiasme et l’impression positive que vous donne le franchiseur. C’est son job de vous plaire et de se montrer convaincant. Il faut prendre ce recul pour raisonner froidement avant de retrouver cet enthousiasme et ce capital sympathie une fois installé », attaque Me Bellet. D’après l’avocate, l’immense majorité des franchisé·es qui regrettent leur partenariat se sont précipité·es. Il faut au contraire impérativement prendre le temps de se poser les bonnes questions avant de donner sa confiance à un partenaire franchiseur. Le Guide de la franchise, qui qualifie de « critères absolus » cette démarche, présente dix questions incontournables. Nous les transcrivons telles quelles :

1. Quel est le marché général du franchiseur ?

2. Quelle est l’idée du franchiseur ?

3. Quand le franchiseur a-t-il lancé son activité ?

4. Le passé du franchiseur est-il un passif ?

5. Combien le réseau comprend-il d’indépendant·es ?

6. Combien de succursales ?

7. Quel est l’état de la concurrence ?

8. Quelle est la notoriété du franchiseur ?

9. Quelles sont les charges liées à l’exploitation de l’activité ?

10. Quelle est la durée d’amortissement des investissements de départ ?

Chacune de ces questions doit trouver une réponse claire et précise, vérifiable qui plus est. Sans quoi, nos deux auteur·es l’affirment, l’aspirant·e franchisé·e ne possède pas suffisamment d’information pour prendre une décision éclairée. « Il ne faut pas se limiter au document d’information précontractuel, le DIP, mais réclamer plus de transparence », insiste Charlotte Bellet. Pour rappel, le fameux DIP, dont la remise au·à la candidat·e est obligatoire avant la signature, depuis la loi Doubin de 1989, communique des informations sur le réseau (identité et présentation, résultats de l’entreprise, clauses du contrat…) et prend une forme très proche du contrat définitif. Souci, selon notre avocate spécialisée : « C’est une relative coquille vide qui ne fournit pas les bonnes informations stratégiques, comme les chiffres d’affaires des autres points de vente ou des études de marché plus poussées. » Parade : aller plus loin, demander plus d’informations au franchiseur avant de franchir le pas. Et surtout, toujours garder à l’esprit que, même si l’humain est primordial, une bonne franchise ce sont avant tout des chiffres, du concret. Le refus de la transparence est l’un des premiers signaux à scruter de très près.

Les renseignements incontournables

Les auteurs du guide y reviennent : « Nombreux sont les candidat·es rassuré·es par les chiffres enregistrés par le franchiseur. De si bons résultats ne peuvent qu’attester d’un concept rentable ! […] Mais il faut que les franchisé·es comprennent que là où ils·elles rapportent de l’argent au franchiseur, c’est quand ils·elles paient les droits d’entrée et créent leur point de vente, avec commissions et marges arrière à la clé. Un franchiseur se fait beaucoup d’argent quand il lance un·e franchisé·e. » Autrement dit, un turnover important n’est pas nécessairement un frein pour le franchiseur axé sur la rentabilité avant tout qui mise souvent plus sur les gains directs de l’entrée d’un·e franchisé·e que sur les redevances qui suivront. Pour éviter les mauvaises surprises, « il faut garder une tête bien froide, prendre son temps et exiger des renseignements indispensables avant de s’engager. Nous les avons réuni dans une liste en dix points. La majorité des litiges et des procès pourraient être évités si ces questions obtenaient réponse a priori », promet Me Bellet.

Les dix renseignements à obtenir coûte que coûte avant de s’engager :

  1. Communication des deux derniers comptes annuels

2. Communication de l’expérience professionnelle de la tête de réseau

3. Communication des chiffres d’affaires et des résultats des magasins pilotes depuis leur création et des magasins situés dans la zone visée par le·la franchisé·e

4. Communication des moyens humains, techniques et matériels mis à la disposition des franchisé·es ainsi que les moyens mis en œuvre pour assurer la publicité et la notoriété de la marque

5. Communication de l’évolution précise du nombre de franchisé·es année par année depuis l’origine (avec les entrées et les sorties)

6. Communication du nombre de franchisé·es placé·es en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire depuis la création du réseau

7. Communication pour chaque franchisé·e existant·e au moment de la remise du DIP de la date d’entrée dans le réseau, le nom de la société, l’adresse du point de vente, et les coordonnées du·de la dirigeant·e

8. Communication sur les trois dernières années du CA et du résultat net de tous·tes les franchisé·es qui composent le réseau

9. Justification du travail d’analyse mené par le franchiseur sur le marché local et des critères qui l’ont amené à valider la ville et le local choisis (part de marché des concurrents, taux d’emprise de l’enseigne, projections de rentabilité…)

10. Communication de toutes les informations nécessaires à l’établissement d’un compte prévisionnel

Contrairement à ce que prétendent souvent les franchiseurs, l’ensemble de ces informations ne sont pas confidentielles, dans le cadre d’un contrat de franchise. Encore faut-il le savoir. En résumé, « le·la candidat·e doit se montrer exigeant·e. Il·elle est légitime à l’être au vu des risques humains et financier qu’il·elle prend en intégrant un réseau de franchise. »

Savoir s’entourer

Au-delà de la prudence et du recul nécessaires, et même en s’astreignant à respecter les conseils prodigués par le Guide Dalloz de la Franchise, mieux vaut toujours s’entourer des bonnes personnes et solliciter l’avis de professionnel·les. Trop rares sont les aspirant·es franchisé·es qui sollicitent un·e avocat·e spécialisé·e pour relire les contrats en amont. À peine « un·e sur dix », regrette Charlotte Bellet. « Idéalement, le·la candidat·e devrait être accompagné·e par ce que j’appelle le “triplé gagnant” : sa banque qui le·la connaît et lui accorde son prêt, un·e expert·e-comptable de confiance et un·e avocat·e spécialisé·e ».

L’avocate le concède, faire appel à un conseil juridique représente une dépense supplémentaire, mais loin d’être superflue et surtout marginale en comparaison des erreurs que le·la franchisé·e évitera de commettre grâce à cet entourage professionnel. « Souvent, pour les franchisé·es, avocat·e spécialisé·e rime avec complications, alors que c’est plutôt le·la professionnel·le qui va leur éviter des déconvenues », affirme la coauteure du Guide. Les candidat·es à la franchise n’ont rien à perdre et tout à gagner à se donner tout le recul et à se doter de tous les outils et conseils nécessaire pour prendre la bonne décision. Pour s’engager en franchise il faut « prendre des risques avec les yeux grands ouverts et en toute connaissance de cause ».

Adam Belghiti Alaoui

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