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Pour de bonnes raisons le plus souvent, le·la franchise·é peut négocier un délai de paiement de la redevance à son franchiseur.
La relation entre franchiseurs et franchisé·es, idéalement, devrait s’écouler comme un long fleuve tranquille. Le contrat qui les lie est basé sur la confiance, l’entraide et le soutien. Il est admis que le·la franchisé·e ne réussira qu’avec les conseils du franchiseur (c’est même la base du concept). De même, la réussite opérationnelle et financière de la tête de réseau est dépendante de la performance des franchisé·es. Mais la crise sanitaire a mis des franchisé·es en difficulté. Spontanément, de nombreux franchiseurs ont soulagé leur réseau momentanément de ses redevances. Si tel n’est pas le cas, l’initiative de la demande revient au·à la franchisé·e pour éviter le dépôt de bilan, préjudiciable aux deux parties. Et avec les fournisseurs ? Et avec le bailleur ?
1 – Soulager la franchise de sa redevance
Florian Benoit, président de Cosmeticar, spécialiste du lavage auto sans eau à domicile, identifie trois cas face auxquels un franchiseur devrait lever l’obligation de redevance : la mauvaise santé du franchisé ou victime d’un accident. Une situation particulière de litige. Et, depuis un plus d’un an, le cas de force majeur, l’épidémie. Florian Benoit reconnaît avoir déjà été confronté au cas d’un franchisé qui assurait ne plus pouvoir régler sa redevance. « Notre première action est de comprendre et donc d’identifier le problème. Pourquoi le franchisé se retrouve-t-il dans une telle situation ? L’activité va-t-elle si mal ? Le business est-il mal géré ou existe-t-il un réel cas ponctuel ? Si le franchisé ne peut vraiment pas s’acquitter d’une redevance de 500 ou 600 euros, c’est que la situation est grave. Ainsi, on essaie de comprendre : manque-t-il de clients, son organisation est-elle défaillante ? Pourquoi ? »
Le rôle de conseil et de soutien du franchiseur se révèle primordial. Son objectif à lui, franchiseur, est qu’un franchisé génère du chiffre d’affaires ! « Nous analysons sa situation, nous mandatons un expert-comptable. Bref, nous nous déployons pour tenter de sortir notre partenaire de cette mauvaise passe », confirme Florian Benoit. « Pour envisager un tel scénario, la raison doit être très forte. Dans ce cas, le franchiseur demande au franchisé son état comptable, il regarde l’endettement, les résultats, l’affection des ressources et demande un relevé de compte bancaire. L’objectif est de déterminer si le franchisé garde le moyen de payer ou non, d’avoir la certitude que le franchisé affronte des difficultés financières réelles », confirme Laurent Delafontaine, associé fondateur d’Axe Réseaux, cabinet de conseil qui accompagne les futurs franchiseurs dans leur démarche de création de franchise et de développement de réseaux
Le comment du pourquoi
Il existe plusieurs causes possibles à un empêchement, passager ou appelé à durer. Parfois, il s’explique par un événement exogène « bête » : des travaux devant la boutique. « Il m’est arrivé, se souvient Delafontaine, de suivre une boulangerie qui s’est vu installer un carrefour giratoire devant sa boutique. Le magasin était devenu invisible aux passants ! » Lequel rappelle que, d’une manière générale, en termes de fréquences, la qualité des franchisé•es obéit à la règle des quatre quarts. « Un quart des franchisé•es sont très bons. Ils dépassent les prévisions. La moitié sont “normaux”, c’est-à-dire qu’ils ou elles dégagent des performances en ligne avec les prévisions. Enfin, un quart éprouvent des difficultés. »
Le franchiseur à la manœuvre
Une fois l’explication et la preuve de la défaillance rapportées, le franchiseur convoque son conseil d’administration pour étudier le dossier et y apporter la meilleure réponse. « Le conseil peut décider d’annuler purement et simplement les redevances pendant un temps défini, les décaler et les échelonner dans le temps ou refuser l’aide. Par exemple, proposer de régler les 1 000 euros non payés en dix mensualités de 100 euros sur dix mois », explique Laurent Delafontaine. Peut-être aussi l’emplacement est-il mauvais ou peut-être le•la franchisé•e… n’est pas fait pour ce métier. « Dans ce cas, le franchiseur va peut-être proposer de racheter le fonds de commerce », précise l’expert.
En cas de litige
Deuxième cas, plus rare : le•la franchisé•e pourrait s’exonérer de son dû, mais refuse. « En général, ce refus cache quelque chose. Soit le membre cherche à quitter le réseau, soit il est en litige avec le groupe pour une raison. Il va bloquer son paiement pour lancer un marchandage, un peu comme un locataire qui refuse de payer le loyer de son propriétaire pour l’obliger à entamer des travaux de rénovations », observe Florian Benoit. En pareil cas, les professionnels recommandent la négociation : « Mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès ».
La force majeure
Mais la pandémie a fait surgir un troisième cas : la force majeure. Du jour au lendemain, les franchisé•es ne peuvent plus travailler. « Chez Cosmeticar, nous avons décidé immédiatement de remettre la redevance du mois suivant le pic de crise, soit celle d’avril. Il nous fallait le temps de réfléchir à la situation et d’offrir un peu d’oxygène à nos partenaires. Heureusement, notre activité a rapidement repris. En octobre en revanche, quand les restrictions sanitaires se firent moins dures, nous avons fait le choix de reporter de quelques mois les redevances. Ce fut un choix payant puisque nous avons finalement récupéré 100 % des redevances », se félicite le dirigeant. D’un point de vue juridique, ces clauses de report ne sont pas écrites. Un contrat est un contrat et le franchisé doit payer. C’est donc au franchiseur de faire preuve de souplesse quand la situation l’exige. « Entre notre soutien, les aides publiques et les efforts des partenaires, comme les banques ou les bailleurs, notre activité a très bien résisté à la crise. Oui, les grands centres, aux loyers les plus élevés, ont été mis davantage en difficulté au début, mais la situation s’est rapidement redressée. » All is well that ends well, puisque nous en sommes aux adages !
2 – Amadouer les bailleurs
La mansuétude du franchiseur n’est pas la seule bouée de sauvetage du•de la franchisé•e. « Le ou la chef•fe d’entreprise va se tourner vers son franchiseur et, le plus souvent, en même temps, vers sa banque. Chez lequel on va tenter de reporter ses annuités d’emprunts, négocier un découvert autorisé, bref, tout ce qui offrira une bouffée d’oxygène », indique le fondateur d’Axe Réseaux. Dans les centres-villes, le propriétaire d’un fonds de commerce franchisé est parfois un particulier qui a hérité par exemple du fonds où y a investi. Dans ce cas, rien ne l’empêche de se montrer compréhensif en cherchant avec son locataire la meilleure solution pour les deux partis.
Si le bailleur est une foncière, dans un centre commercial par exemple, la situation va se présenter de façon beaucoup plus délicate. Les grands propriétaires refusent généralement de négocier, sauf cas exceptionnel. Pourtant, au cœur de la pandémie, même les géants du secteur ont accepté, après d’âpres négociations et vérifications, de reporter quelques échéances. « En 2020, nous avons limité les abandons de créances sans contreparties et privilégié des allongements de baux – + 2,6 ans en moyenne – et des hausses de valeur locative de l’ordre de 2 %, en échange d’un accompagnement de loyer sur 2,1 mois », expliquait en mars aux Échos Jacques Ehrmann, le directeur général d’Altarea. Point important, le franchiseur facture chaque mois la redevance. Si elle n’est pas honorée, elle pèse comme une charge sur le bilan du groupe, le fragilise et péjore ses difficultés avec la banque. « Aussi, en cas d’impossibilité de paiement, mieux vaut négocier en amont avec son franchiseur afin qu’il n’émette pas de facture. Dans ce cas, il faut rédiger un avenant au contrat de franchise qui fixe les règles du rééchelonnement de la dette », explique Laurent Delafontaine.
Préserver les fournisseurs
Surtout, il faut éviter les impayés avec les fournisseurs. Au bout de quelques factures impayées, le•la franchisé•e risque la notation à la Banque de France (même si officiellement elle n’est plus de mise, une défaillance laisse des traces) et son accès au crédit sera très difficile. Il faut donc privilégier les fournisseurs susceptibles de comprendre la situation tout en gardant en tête que, s’ils arrêtent de livrer, l’activité devient nulle.
Enfin, il existe des franchises qui sont aussi centrales d’achat. « La situation est alors complexe. Si le•la franchisé•e aide son franchiseur, il ou elle risque de se retrouver taxé•e de soutien abusif. Inversement, un franchiseur qui soutient trop son franchisé en vain risque de lourdes pertes », prévient le professionnel.
Moralité : tout est affaire de bonne foi et de risques calculés. En l’occurrence, le grand avantage du commerce associé tient à ce petit-grand mot, associé. Un indépendant, lui ou elle, se bat (trop) seul•e.
Pierre-Jean Lepagnot