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Est-ce par désillusion professionnelle ? Parmi plus de 800 000 enseignants, un nombre croissant vivent mal la dégradation des conditions d’enseignement, la non-revalorisation des salaires, les refus de mutation. Devenir entrepreneur·es ? Et si la franchise devenait une reconversion gagnante ?
Les derniers chiffres officiels publiés recensent 1 417 démissions en 2017-2018. Depuis cette date, silence radio, le Mammouth ne communique plus sur ses défections. Or pour certains observateurs, ces chiffres sont sous-estimés. Eux tablent plutôt sur des dizaines de milliers de démissions chaque année. « Le véritable dilemme au moment de franchir le pas, de la porte au sens premier, ça a été la perte de la sécurité de l’emploi et l’absence de filet de sécurité », témoigne une enseignante qui a décidé de quitter l’Éducation nationale. Il faut dire que, comme ses collègues du privé, un enseignant démissionnaire ne perçoit aucune indemnité de chômage. Tout au plus peut-il·elle espérer un licenciement pour ouvrir ses droits – souvent long et difficile à obtenir par la case rectorat.
Mais une fois sa liberté retrouvée, l’enseignant·e démissionnaire ou licencié·e se retrouve face à une grande question : quel sentier professionnel arpenter ? Après cinq, dix, voire quinze années passées face à un auditoire d’élèves en cours, difficile de se projeter dans un nouveau quotidien professionnel. Beaucoup, bien sûr, poursuivent dans l’univers pédagogique, à travers des cours particuliers, des formations pour adultes ou des soutiens scolaires. Mais au-delà du chemin balisé de la pédagogie, l’entrepreneuriat représente une porte de sortie ou d’entrée pour les ex-enseignant·es. « Mais les enseignant·es ont en général – et paradoxalement – beaucoup de mal avec la hiérarchie, analyse Laura Préaubert, ex-enseignante devenue franchisée chez Anacours. Ils·elles ont beaucoup de mal à s’adapter au monde de l’entreprise traditionnel fait de respect de la hiérarchie et de petites règles tacites que ces personnes-là ne maîtrisent pas toujours. Dans ce sens, l’entrepreneuriat représente une bonne solution pour travailler à son compte et sans hiérarchie lourde. » L’aventure entrepreneuriale fait souvent peur. Pour un·e prof habitué·e, pendant des années, au confort d’une administration publique, se retrouver seul·e pour lancer un concept semble tout à fait vertigineux. C’est en ce sens que la franchise représente un choix astucieux pour ces converti·es d’un nouveau genre.
Préjugés
« Bien souvent, les franchiseurs accompagnent celles et ceux qui décident de lancer leur franchise, et ces nouveaux entrepreneur·es bénéficient de conseils et de l’expertise nécessaires », rassure Christophe Bellet, dirigeant de Gagner en franchise, membre du collège des experts à la Fédération française de la franchise. « Sans compter que les franchiseurs proposent bien souvent un appui à la communication qui simplifie énormément le travail de marketing des néofranchisé·es », complète Laura Préaubert.
Se lancer dans le grand bain de la franchise, oui, mais pas à n’importe quel prix ! « Je conseille toujours aux enseignant·es que j’accompagne de se livrer à une introspection pour bien mûrir leur projet, suggère Christophe Bellet. Il faut se poser les bonnes questions : quelles sont nos envies, nos points forts et au contraire nos faiblesses ? » Car le profil des enseignant·es n’est pas toujours « bankable » aux yeux des franchiseurs et des financeurs. « Ces gens-là affichent souvent l’image de fonctionnaires, avec tous les a priori qui vont avec, manque de réactivité, faible amplitude horaire, propension à la contestation. Aux candidats·es à faire en sorte de démentir les préjugés. »
Franchisée Anacours, une logique de métier
Le début d’activité de ce pro en reconversion sera similaire à tous ses homologues : trouver le bon réseau, monter un business model, trouver son emplacement et son local (en passant bien souvent par une période d’âpres négociations), dégager les fonds suffisants pour lancer son activité, assurer le cas échéant des recrutements, planifier la communication du lancement de son activité en lien avec le franchiseur. Bref, la routine du chef d’entreprise.
Côté choix d’activités, les enseignant·es ont le champ libre. D’abord, et de manière naturelle, toutes les franchises liées à l’enseignement via des cours particuliers seraient la voie spontanée. Mais attention, met en garde Christophe Bellet, « il existe une différence entre enseigner et gérer une structure de cours. Des compétences commerciales, mais également de management sont indispensables. » Le choix, en 2018, de notre témoin, Laura Préaubert. Après une année passée à enseigner, elle a décidé de lancer sa propre franchise d’Anacours. « C’est vrai qu’au début ça a été assez compliqué. Il a fallu passer de la préparation de cours à l’établissement d’un business model, la recherche de locaux ou encore le recrutement d’enseignant·es. Mais l’accompagnement offert par le franchiseur m’a beaucoup aidée. » C’est tout l’attrait de ce type d’entrepreneuriat.
Celle qui se destinait à une carrière de professeure des écoles, apprécie aujourd’hui son virage professionnel. « J’ai un quotidien très rythmé, de nombreuses responsabilités. Je dois gérer des équipes, tout en gardant très active la fibre pédagogique, c’est un bon compromis entre ma passion et mes envies professionnelles. »
Se lancer dans une activité proche de son savoir-faire ou… pas du tout
Pour une réussite de ce type, combien d’échecs ? La jeune patronne conseille à ceux et celles que son exemple tente d’y réfléchir à deux fois. « Souvent, les enseignant·es restent passionnée·es pour leur discipline, ce qui rend difficile la transition. Il ne faut pas partir vers la franchise à la légère. »
La franchisée voit venir à elle des collègues démissionnaires de l’Éducation nationale. « Tout un tas de raisons vont pousser des profs à claquer la porte, analyse-t-elle. Dans la franchise, beaucoup comme moi trouvent un second souffle professionnel qui va les passionner. » Ou pas. « Il faut d’un seul coup accepter de reconnaître ses erreurs alors qu’un enseignant ne se donne jamais le droit à l’erreur, analyse la franchisée. C’est un grand pas psychologique qu’il faut accepter de franchir. »
Les franchises dites pédagogiques ne sont pas l’échappatoire unique des transfuges de l’EN. « Tous les secteurs professionnels leur sont ouverts pourvu qu’ils soient motivés, confirme Christophe Bellet. Là encore, la vraie clé, c’est la motivation et les compétences qu’ils ont développées. »
Jérôme, prof d’économie pendant quinze ans, a choisi de monter en franchise de boutique de paysagisme. Mathilde, enseignante d’anglais, reprend sous franchise un concept store de décoration.
Quelle que soit la typologie d’activité choisie par les ex-enseignant·es, l’accompagnement reste primordial. « C’est un changement total d’univers professionnel, analyse Christophe Bellet. Autant dire que ça ne se fait pas à la légère et qu’il vaut mieux posséder les armes voulues pour faire face aux imprévus. » Ce qui n’est pas impensable de la part de professionnels de la communication qui doivent souvent improviser…
Franchisée puis franchiseure…
« Il faut souvent du temps pour que l’activité décolle et la crise sanitaire n’a pas arrangé le secteur », rappelle Laura Préaubert, qui a réussi à sortir la tête de l’eau après le gros de la crise. En clair, l’enseignant·e qui décide de se lancer devra accepter d’entrer dans un terrain d’incertitude. Une prise de risque qui paie, bien souvent. « Il y a quelque temps, j’ai accompagné une enseignante qui a décidé de lancer un concept global de centre d’apprentissage des langues dès la petite enfance, évoque Christophe Bellet. C’était une jeune enseignante qui voulait changer d’univers et se lancer à son compte. » Aux débuts difficiles succède un décollage du concept. « C’est une belle success story, puisque de cheffe d’entreprise elle est en passe de devenir franchiseure et va ouvrir plusieurs franchises de son concept dans les mois à venir », témoigne l’expert de la franchise. Le secret de sa réussite : « Une force de travail et une motivation indéniables, combinés avec un accompagnement réussi par notre structure », se reconnaît le fondateur de Gagner en franchise.
Enseigner puis entreprendre ? Possible et même favorable. Mais sans conteste, entreprendre dans un cadre sécurisé comme celui du commerce associé multiplie les chances de réussite. L’avenir dira si le sas se confirme.
Guillaume Ouattara