L’affaire des masques : comment la France a perdu la face

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Ne nous payons pas de mots : entre les cris d’alarme des soignants, des policiers et du pékin moyen français privés de cette protection minimale qu’est un masque (simple ou sophistiqué) et la réalité nationale, un déni de précaution depuis 2013 expose tout le pays, à commencer par les professions en première ligne. Le Journal du Dimanche publie le 21 mars une longue enquête qui fait mal : les autorités commencent tout juste à admettre que les gouvernements présents et antérieurs ont failli.

Dans les années 2000, confirme Anne-Laure Barret, signataire de l’article, les stocks de masques sont à l’optimum. Et pour cause : on craint jusqu’à 500 000 morts en 2006, en pleine « grippe aviaire » dont le pronostic sombre ne va heureusement pas se réaliser. On dispose de FFP2 (Filtering Facepiece, littéralement « pièce faciale filtrante ») de classe 2, réservés aux médecins hospitaliers, aux libéraux, aux policiers ou aux commerçants. Les masques simples dits chirurgicaux portés par les contaminés et leurs proches protègent l’entourage. Combien ? Plus de 561 millions de pièces, calibrées pour une crise de 90 jours.

Production nationale contre sous-traitance
Les masques sont stockés dans des entrepôts gérés par un Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) sous tutelle du ministère de la Santé (Xavier Bertrand). Marisol Touraine, nouvelle ministre, « hérite » en 2012 d’1,4 milliard de masques. La « vraie-fausse » pandémie de H1N1 en 2009 laissa entrevoir que l’on n’était peut-être pas obligé de renouveler le périmé. Le scénario « ne pas stocker » mais « faire fabriquer » (en Chine), prévaut. Le secrétariat général de la Défense nationale (SGDN) pilote le dossier. Et la doctrine s’instaure : « Chaque hôpital est désormais supposé acheter des masques pour ses soignants – FFP2 et chirurgicaux – en fonction de ses besoins », constate notre consœur. À la clé, le budget requis : entre 50 et 100 millions d’euros par an pour le maintien d’un stock gigantesque. Sous le gouvernement Hollande, la logique économique tranche. A posteriori, difficile de fustiger l’attitude des décideur/euses : du moment que l’on pouvait appuyer sur le bouton de commande « Chine »… Ebola (2014) et attentats terroristes (2015) ont pour effet la remontée des réserves. Mais le naturel « économique » va reprendre le dessus. En février 2020, « la réserve est vide ». Et les établissements gèrent leurs propres stocks en fonction de leurs besoins. La fort occupée Agnès Buzyn, ex-ministre de la Santé, a d’autres priorités. Mais deux mois après le cri d’alarme chinois, pourquoi ne s’est-on pas souvenu de notre pénurie en masques ? 

La faute aux prédécesseurs
Chaque jour, depuis l’alerte de l’OMS – 12 janvier –, tous les médias relaient le même désarroi : pas de masques, plus de masques. Les autorités promettent. Olivier Véran, ministre de la Santé, fustige le quinquennat Hollande. Levée de boucliers à droite comme à gauche : pourquoi le fameux bouton de commande chinois n’a-t-il pas été pressé d’emblée ? Parce que, dit le directeur général de la Santé, cité par le JDD, « il y a des stocks stratégiques importants détenus par Santé publique France sur les masques chirurgicaux. On n’a pas d’inquiétude. La seule chose, c’est qu’on attend. On ne distribue les masques que quand c’est nécessaire : aux malades, aux personnes-contacts dans la zone où circule le virus. Si demain on nous dit qu’il y a une zone où le virus circule, évidemment qu’on privilégiera cette zone […] Il n’y pas de sujet de pénurie. J’encourage nos concitoyens à ne pas se faire avoir par des escroqueries. » Curieux argumentaire.
Le 3 mars seulement, pourtant, le président de la République réquisitionne « tous les stocks et la production de masques de protection » à destination des soignants et des malades. C’est une forme d’aveu. À l’heure où la Chine, qui dit ne plus enregistrer de nouveaux cas, délivre généreusement des millions de masques à l’Europe (Les Tchèques les volent aux Italiens !) et s’apprête à renflouer la France, le rationnement est de mise : 18 masques par semaine pour les médecins et les infirmiers, pas de masques pour les policiers. La commande de 250 millions de masques à l’étranger annoncée par le ministre sonne comme un retard inouï qu’il faudra affronter. Dans un monde désormais à la merci des virus de toute nature, la logique « économique » devrait ne plus pouvoir prévaloir, même au sein d’un régime néolibéral.

Olivier Véran reconnaît la pénurie

Le ministre de la Santé a validé l’enquête de notre consœur, en reconnaissant l’état des lieux initial des stocks d’État : 117 millions de masques chirurgicaux et… 0 FFP2. « Il y a dix ans, dit-il, nous disposions d’un milliard de masques chirurgicaux et 600 millions de FFP2. Ces stocks se sont réduits. La ministre de la Santé de l’époque fut raillée… » Olivier Véran confirme la commande de 250 millions de masques… livrés « au cours des prochaines semaines ». C’est là que le bât blesse. C’est dès l’amorce de l’épidémie en Chine que les autorités sanitaires devaient commander ces fameux masques, si tant est que l’usine de la planète était en mesure de livrer. Sans doute, puisque l’Empire offre aujourd’hui des millions de masques à cette Europe prise au dépourvu. Dont un million à l’Italie. Gratuitement. Après le « vol » opéré par les autorités tchèques. Orgueil national ? Le gouvernement français n’aurait pas adressé une demande de don aux généreux Chinois…

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